Robert Cottard, auteur de ce livre, a été facteur jusqu’en 2000. Il a épuisé ses mollets puis sa voiture de service au sein d’un petit village normand près d’Etretat.
Prétextant l’habituelle tournée des calendriers qui permettait aux postiers de s’assurer quelques revenus supplémentaires, l’auteur nous convie à un charmant petit tour du village, ou plutôt de ses habitants. Le contexte temporel est vague, et il n’est pas improbable que les événements rapportés soient un peu mélangés pour les besoins de l’histoire. La narration n’hésite d’ailleurs pas à user de digressions, à partir dans un autre chemin pour mieux revenir après, à évoquer telle figure reliée à une autre, et ainsi de suite.
Mais ce qui est certain, c’est que c’est le portrait d’une ruralité passée, probablement quasiment disparue, et aussi d’une conception du métier morte et enterrée, disparue avec les évolutions de la société. Une autre époque où le petit verre offert était de mise, où le facteur était aussi un confident, une aide si besoin pour aller chercher quelques courses, un homme sur qui compter pour un petit coup de main, sans pour autant qu’il ne soit porté aux nues, sans le prestige des notables du coin. Le facteur Robert pouvait être sympathique, mais il avait aussi ses têtes, et les villageois le lui rendaient bien.
Le portrait dressé de cette communauté rurale remonte loin, révélant le reflet d’une époque où tout le monde se connaissait aux alentours, où le réseau était important pour s’entraider ou juste passer le temps. Quelques beaux exemples d’amitié sont ainsi présentés, parfois forgés autour du verre alcoolisé et du suivant. L’alcoolisme et le tabac ont fait des ravages. Mais la vie au village n’avait aussi rien d’une fête, avec ses relations compliquées, ses mésententes entre voisins pour telle vieille histoire, parfois oubliée au fil du temps mais la rancune conservée, ses couples malheureux ; pour ces gens de la vieille France on ne divorçait pas. Alors les soupirs existent, mais les coups de gueule sont encore plus forts, sur les autres, sur la France, et les opinions comme des coups de poing ne sont parfois pas de la plus grande tolérance et s’inscrivent en marge d’une « modernité » que certains refusent.
Ces gens, Robert Cottard en dresse le portrait dans quelques chapitres à leurs noms, parfois des surnoms, comme ceux pour « les frères PQ » ou « Choléra » ou « Lulu », parfois à leur prénom. La causette se fait, parfois, d’autres fois il n’y aura que quelques mots échangés, il y a des taiseux dans le coin, des méfiants aussi. Mais le facteur doit vendre ses calendriers, pousser ses talents d’élocution, garder tel calendrier avec telle image (car il y en a plusieurs) pour untel qui a ses habitudes. Puisque la rémunération est à l’appréciation du client, il faut un peu négocier, argumenter, mais aussi savoir accepter, comme pour la contre-partie en nature du châtelain du coin, un panier de marrons… Ces rencontres sont surtout l’occasion de dévoiler un peu plus l’histoire et la personnalité de la personne à qui le facteur vend son produit, pour offrir quelques portraits bien typiques, assez pittoresques.
Le romancier ex-facteur ne le fera pas sous la mélodie du violon, pour nous faire pleurer que c’était mieux avant. Pour le postier détendu qu’il a été, nous offrant un peu de son parcours, et surtout quelques délicieuses pages sur son inspection, les peintures qu’il nous offre de son environnement ne sont pas toujours flatteuses. La langue est belle, le vocabulaire riche et évocateur, mais l’écriture est parfois un peu distante, parfois même ironique, au risque de manquer d’empathie pour ces hommes et ces femmes. Et pourtant, entre les lignes, on devine parfois la complicité, et même une sympathie mais un peu trop dissimulée. De la pudeur, peut-être. On découvre aussi un quotidien assez libre, dégagé de contraintes horaires trop fixes, mais avec ses difficultés, le mépris de certains, les chiens de garde avides de mollets de fonctionnaires en uniforme, et autres inconvénients du métier.
Le récit proposé est assez plaisant, aux ambitions littéraires qui le détournent d’un simple témoignage passéiste. Il nous plonge dans une France rurale disparue, assurément transformée depuis le passage du facteur Robert Cottard mais offerte avec une juste mélancolie, aux personnalités fortes, réecrites pour nous dans leur jus.
L'ouvrage m’a rappelé le facteur de mon enfance dans la campagne, un sacré bonhomme qui nous livrait le courrier parfois tardivement dans l’après-midi, après plusieurs pauses parfois bien arrosées. Parfois il garait son véhicule devant la maison pour uriner sur le champ d’en face. Son successeur nous livrait le courrier bien plus tôt, il était jeune, il était professionnel. Le passage de relais en a dit beaucoup sur les changements du métier.