En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées...

Selon un certain slogan des années 1970, "en France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées". En matière de politiques d’emploi et de croissance, il n’est pas sûr qu’elles aient été bonnes. Tel est le point de vue de Philippe Askenazy qui, dans Les décennies aveugles. Emploi et croissance 1970-2010, ne se gêne pas pour dire tout le bien qu’il pense des politiques économiques menées en France depuis 1970, par la droite ou par la gauche.


Il souligne ainsi que les dirigeants (mal conseillés) ont commis diverses erreurs, comme une place trop grande accordée aux grands équilibres macroéconomiques ou encore une fixation (néfaste) sur le fonctionnement du marché du travail qui conduit... à une remarquable inertie dans les diagnostics établis : les jeunes sont massivement au chômage parce que peu productifs ; idem pour les plus de 50 ans ; le coût pour les entreprises du travail non qualifié est trop élevé donc il faut alléger les "charges" de ces dernières ; le marché du travail souffre de rigidités et de difficultés d’appariements entre l’offre et la demande.


En ajoutant à cela le fait que la France a plus ou moins raté le virage de la nouvelle révolution industrielle (même si l’auteur souligne qu’il n’était pas facile de comprendre en 1970 ce qui allait se passer) on se retrouve, aujourd’hui, avec un pays qui est allé loin dans les logiques de flexibilité/segmentation du marché du travail pour des résultats décevants (1) en plus d’une dégradation, au fil des décennies, des finances publiques. Le tableau dressé est donc sombre et les efforts en matière de R&D (le crédit impôt recherche), tout comme les politiques conduites depuis 2007 (défiscalisation des heures supplémentaires, TVA réduite dans la restauration, fusion ANPE/ASSEDIC, réforme de la représentativité syndicale, etc.) apparaissent comme des demi-mesures, au pire comme des échecs.


Que faire ? L'auteur avance au moins quatre idées. Les deux premières sont "classiques" : un effort accru en matière d’éducation (de la maternelle à l’enseignement supérieur) afin d’adapter la population active aux nécessités de la révolution industrielle en cours ; investir dans la R&D, notamment la recherche fondamentale. La troisième idée ne devrait pas lui valoir que des amitiés : arrêter de vouloir réformer le marché du travail et d’avoir une vision idéalisée des incitations fiscales (qui ne se révèlent pas très efficaces...) pour revenir à des interventions directes de l’État dans les domaines clés via, entre autres choses, des créations de postes... de fonctionnaires (2) ! Enfin, dernière idée : pour profiter de la révolution industrielle en cours, il faut choisir des créneaux porteurs. L’auteur en propose deux : l’éducation supérieure (en plus d’augmenter le nombre d’étudiants français, accueillir davantage d’étudiants étrangers serait une bonne chose pour l’économie et la culture française) et, surtout, la santé. Cette dernière, en plus des créations d’emploi, permettrait d’offrir un service à vendre à nos voisins européens, moins avantagés dans ce domaine.


Au fil des pages, deux éléments suscitent un petit questionnement :



  • une définition/illustration du ratio de sacrifice (p. 95) plutôt étrange par rapport à celles habituellement données en macroéconomie : un ratio de 2 signifierait que « pour casser l’inflation, il faudrait plonger l’économie dans un marasme profond pendant plusieurs années, qui se traduiraient par l’équivalent de la perte de deux années de production. »

  • une petite erreur a priori en page 103 où l’auteur note que la faiblesse de l’investissement des entreprises en France, au début des années 80, héritage de la période Barre, « lègue un outil productif qui peine à répondre à une hausse forte et non ciblée de la demande française ; cette dernière nécessite un recours accru aux exportations. »


En résumé ce livre vise (plus ou moins explicitement) à alimenter le débat public pour 2012, ce qui ne le rend pas moins intéressant pour autant. Une conclusion volontariste achève l’étude de l’auteur et souligne le besoin d’adopter un certain recul par rapport aux « modèles » qui ont guidé/guident l’action publique : « les modèles sont toujours réconfortants et commodes. Ils donnent à la paresse intellectuelle l’excuse de la curiosité pour le monde extérieur » (cf. p. 306). Si l’ouvrage est critiquable parce qu’il aborde beaucoup de sujets en peu de pages (300 environ), ce qui peut frustrer (quelque peu) le lecteur (3), on ne saurait retenir cet argument pour se dispenser de sa lecture.


(1) Notamment au sujet du statut de la jeunesse, des rapports hommes/femmes sur le marché du travail, ou des difficultés des seniors à rester dans l’emploi.


(2) P. Askenazy fait en effet remarquer que, vu le coût pour les finances publiques de certaines mesures destinées à créer de l’emploi (la TVA réduite dans la restauration), il serait moins cher et plus avisé de créer des emplois publics.


(3) Par exemple sur la crise de 2007, traitée en quelques pages. Au contraire, sa critique, annoncée dès l’introduction, des travaux de Yann Algan et de Pierre Cahuc est davantage développée puisqu'au-delà de la remise en question de la démarche des auteurs (p. 250-260), la manière de procéder de P. Askenazy, par la suite, peut se voir comme une critique plus implicite de la méthode suivie par les deux auteurs.

Anvil
8
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le 15 août 2015

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Anvil

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