Destins croisés aux milliers de représentations


L’Histoire détourne les chemins des Hommes et les amènent là où ils n’auraient jamais pensé être. Ossyane, le héros de ce roman en est la preuve incontestée. Il naît à Beyrouth, capitale de l’actuel Liban en 1919 à l’aube de la fin de la « Grande guerre » entre sa sœur et son frère. Etant l’arrière petit fils du souverain de l’empire ottoman, il vit une enfance princière. Fils d’un père ayant pour lui des rêves de révolutionnaire et de grandeur, il part faire ses études de médecin en France en plein régime de Vichy et par un concours de circonstances, il intègre la résistance. Il y rencontre Clara, une jeune fille juive que plus tard, il épouse. Il se retrouve cependant séparé d’elle en plein début du conflit israélo-palestinien. Elle, enceinte à Haïfa, et lui, coincé à Beyrouth auprès de son père mourant. Il en devient fou à tel point que son frère le fait interner dans une institution où son statut d’humain lui est retiré, il ne vit plus et ce pendant vingt ans jusqu’au jour où sa fille vient lui rendre visite et lui donne la force et surtout l’amour pour s’enfuir ce qu’il fait pendant une nouvelle crise. Finalement, au quai de l’Horloge à Paris, Ossyane retrouve Clara et l’amour entre eux ressuscite instantanément… Ce destin unique et remarquablement conté par Amin Maalouf résonne comme un appel à l’Humain et à l’amour qui fut pour moi une grande joie de lecteur. Il serait injuste de résumer ce roman à « l’amour fait vivre » tant il est riche. Ce que j’en retiens et à laquelle je commence à être habitué avec Amin Maalouf, c’est cette croyance indéfectible qu’il a en l’être humain et qui, au de-là de rejoindre mes opinions personnelles, m’inspire énormément. Il en témoigne principalement via deux axes : celui du contexte historique et politique et celui du destin d’un homme mais pouvant en représenter des millions d’autres.


Comme dans tous ses romans, l’importance accordée à l’Histoire et à la politique des pays orientaux est grande chez Maalouf. Elle l’est d’autant plus que une partie du roman se passe à Beyrouth donc au Liban, sa ville et son pays natals. Il s’y intéresse sous les couverts des « échelles du Levant » référence aux cités marchandes traversées par les voyageurs européens se dirigeant vers l’Orient. Rien que grâce au titre, on peut déjà voir l’union humaniste qu’il opère entre ouest et est. Une scène m’a fortement frappé. Il s’agit de l’enfance du père d’Ossyane où celui- ci vit dans sa maison de « pestiférés » et s’amuse d’être instruit par des professeurs en marge de la société comme il le dit. « Le professeur de turc était un imam défroqué, le professeur d’arabe un Juif et celui de français un Polonais ». Cela témoigne évidemment du multi-culturalisme proposé par Maalouf. Aussi, il est très intéressant de voir comment Ossyane devient symbole de la résistance française. «Bakou» qu’on le surnomme rappelant Hassan en Léon. Encore une fois, du mélange culturel où oui, un arabe libanais d’origine ottomane peut se battre et risquer sa vie pour le conflit d’un autre pays, ici la France. Il y rencontre même la femme de sa vie, Clara, une juive dont la famille a été décimée par la Shoah. La symbolique est ici la plus forte de toutes car elle réconcilie Israël et les pays arabes à travers l’amour ce qui est évidemment l’inverse de la réalité de l’époque où haine et massacre font des milliers de morts entre les deux camps. Il est d’ailleurs triste de voir que ce constat est encore valable aujourd’hui. Maalouf nous pousse donc constamment à faire des parallèles avec notre monde actuel. La scène du mariage est pour moi l’une des plus belles. Tout le monde y est heureux, boit, mange à sa faim pour les amoureux mais ces deux derniers sont inquiets de la mésentente possible entre l’oncle Stefan juif et le dévot musulman Mahmoud. Pourtant, grâce au père d’Ossyane, ils arrivent très bien à se sipoorter et même à apprécier le moment. Ils en oublient presque leurs divergences. Cependant, c’est bel et bien le conflit israélo-palestinien qui va séparer Ossyane de Clara. Cela témoigne de la bien sombre réalité qui a éclaté pour des milliers de personnes dans un conflit géo-politique des plus complexes.


Et c’est à travers ce destin aux apparences tragiques que le deuxième axe humaniste nous est révélé. L’idée narrative de faire se confier Ossyanne au narrateur (Amin Maalouf peut être ?) dit déjà beaucoup sur la représentation de l’Humain et des aléas de sa vie. Il a beau avoir du sang princier, il est un homme parmi les Hommes. Dès son enfance, il sent un poids à travers la pression de son père, sa place dans le monde. Cela symbolise évidemment l’une des relations les plus élémentaires qui soit, celle d’un père avec son fils. Ensuite, lui arriveront les péripéties qu’on lui connaît jusqu’à sa séparation de Clara et de Nadia qui est sur le point de naître conjuguée à la mort de son père. En lui retirant ceux qu’il aime, on lui retire son statut d’humain donc toute raison de vivre. Quand Bertrand vient le voir et qu’il sort pour la première fois de la résidence, on aurait envie qu’il se révolte, qu’il porte son nom dans tous les sens du terme ! A quoi bon… C’est pour cela que la scène où Nadia, sa fille, est l’une des plus belles du roman. Elle est à la recherche du père qu’elle n’a jamais eu et, au milieu d’autres humains rendus presque à l’état légume, elle le voit et le reconnaît. Lui, aussi la reconnaît au bout d’un temps et là, à cet instant précis, le déclic a lieu. En voyant sa fille, qu’il aime comme tout père aime son enfant, l’amour et donc son humanité lui reviennent. Cette scène est d’autant plus forte que les deux doivent jouer un rôle et faire comme si ils étaient étrangers l’un à l’autre. La concrétisation est évidemment la scène finale, seule scène se passant d’ailleurs au présent de la narration. Malgré tous ce qui leur arrivé, l’amour entre Clara et Ossyane est resté puissant, ils s’étreignent et cela est évidemment profondément touchant.


En conclusion, j’ai vraiment aimé ce roman pour des raisons littéraires mais aussi personnelles. Le conflit israélo-palestinien me touche particulièrement de par mes origines libanaises de mon grand-père paternel. J’avoue donc avoir baigné dans une atmosphère familiale assez favorable aux Palestiniens mais je pense que relativiser est important et qu’un problème de cette envergure ne peut être résolu de manière extrême que ce soit pour un côté ou pour l’autre. J’admire également le talent d’Amin Maalouf qui arrive en racontant la vie d’un homme à, à la fois garder le caractère unique de cette vie mais aussi en symbolisant celle de millions d’autres.


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le 29 oct. 2022

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