C'est une histoire terrible que celle de ces fillettes.
Elles sont trois: Justine, Laurette et Ninon, qui, en dépit de leurs efforts conjoints, faits d'un amour sans condition dont seuls les enfants ont le secret, et d'une confiance absolue dans la vie, ne parviendront pas à sauver leur maman.
Rebecca a 33 ans, "l'âge du Christ en croix", et honnêtement, la plupart du temps c'est à peine si elle parvient à sortir de son lit, alors se sortir des addictions...
Faut dire qu'elle se donne du mal, Rebecca, depuis son adolescence, d'abord pour attirer l'attention de parents absents, puis pour fuir la réalité, celle de son échec à les faire réagir.
Anton est tombé amoureux de ses yeux pleins de défi, de sa rage qui cachait mal son envie de disparaître. Lui, le fils de psychiatre, artiste surdoué qui n'a d'autre ambition que d'être heureux, en est sûr: "Un jour elle ira bien. Ce n'est pas une intuition. C'est une décision."
Alors il abandonne tout, apprend à peindre les murs des autres plutôt que des toiles de coton, et Rebecca y croit.
Pendant quelques années d'un doux répit, ils font trois enfants, trois filles phare, bouée et lumière... mais il est des dragons que même le plus charmant des princes, mêmes les plus valeureuses des princesses ne peuvent combattre:
"En rentrant du travail, Anton a repéré les canettes de bière dans la penderie de l'entrée, et, près de l'évier, une plaquette de Néo-Codion entamée. Rebecca s'est expédiée sur sa planète-opiacés."
Les fillettes est le récit d'une enfance écourtée, parsemée d'intenses allégresses, d'aventures fantasques et d'histoires merveilleuses mais toujours menacée par la noirceur d'un nuage planant, maléfique, au dessus de Rebecca.
Le récit est principalement concentré sur une journée unique, narrée tour à tour par chacun des protagonistes, et qui, à hauteur d'enfant, à des allures d'éternité.
L'innocence des mots d'enfants pour décrire le quotidien de l'addiction... c'est glaçant, ça met en colère, ça émeut...
Les fillettes est un roman cruel, et pourtant, à tellement d'égards, rempli de lumière et d'amour.
Rebecca est morte du manque, et, ironie du sort, c'est ce qu'elle laissera en héritage à ses enfants.
Je laisse les mots, sublimes, de la fin à l'auteure:
"L'enfance est irréparable. Voilà pourquoi, à peine advenue, nous la poussons gentiment dans les abîmes de l'oubli. Mais elle nous court après - petit chien fébrile -et nous poursuit jusqu'à la tombe. Comment peut-on en garder si peu de souvenirs quand elle s'acharne à laisser tant de traces?"