Masterclass

Voici tout simplement la meilleure introduction pour quiconque voudrait comprendre les théories des grands économistes. Heilbroner réalise ici un petit chef d'œuvre de vulgarisation, assez didactique et pédagogique pour ne pas larguer le néophyte, et suffisamment nuancé et détaillé pour ne pas sombrer dans la simplification abusive. Il est d'ailleurs conseillé par certains profs d'économie aux étudiants de première année.

L'ouvrage permet non seulement de mieux comprendre les grandes théories économiques, mais au dernier degré, il aide à se représenter l'importance des sciences économiques dans la compréhension du monde. A ce titre, les grands économistes sont aussi des grands historiens, des grands psychologues et des philosophes de génie.

La forme est très américaine, on s'intéresse autant aux théories qu'aux individus, à leur vie, à leurs traits caractéristiques, on relate des anecdotes surprenantes : Heilbroner "individualise" les théories économiques en fixant des personnalités sur les idées. C'est parfois un peu lourdaud (notamment quand l'auteur s'essaye à la psychanalyse des économistes), mais la majorité du temps ce procédé accroche le lecteur, et permet d'incarner véritablement des grands systèmes économiques.

J'ai trouvé l'auteur plutôt objectif aussi, on sent bien parfois qu'il prend parti (du côté du capitalisme, ou des États-Unis notamment) mais il réussit à prendre du recul, notamment en signant un très bon chapitre sur Marx et en reconnaissant son génie.

Il y a malgré tout quelques bémols dans la conclusion. Notamment lorsque Heilbroner affirme qu'il n'y a plus de grands économistes aujourd'hui parce que l'hégémonie de l'économie est passée et qu'aujourd'hui elle est conditionnée par la politique et la culture (sans argumenter). Ce postulat est contraire à ma vision qui rejoint celle de Marx quant à l'opposition infrastructure/superstructure. Par ailleurs, l'auteur ne mentionne pas une seule fois le problème écologique (ou plutôt si, sur une ligne), qui pourtant me semble être le plus gros défi de l'économie à venir. Car de tous les grands économistes présentés, tous avaient en tête que l'objectif ultime était de produire davantage ; c'est en cela que la pensée décroissante est une révolution absolue. Et pas d'excuse d'anachronismes : la dernière révision date de 1986, et le rapport Meadows de 1972.