La littérature de terroir regroupe des œuvres ancrées dans un territoire avec son histoire et ses traditions. Le terme est un peu fourre-tout, mais sa principale caractéristique est d’exalter un temps ancien, où les traits de telle région sont clairement affirmés, du moins dans l’imaginaire collectif, sur le principe nostalgique du « c’était mieux avant ». Le lectorat étant généralement ancien, il apprécie de revenir à un temps plus simple, celui de ses souvenirs ou des anecdotes de ses aînés.


La maison d’édition De Borée, basée à Clermont-Ferrand, propose un large pan de son catalogue consacré à ses œuvres, dont les résumés indiquent toujours clairement où l’action se situe et à quelle date, généralement assez proche avec une prédilection pour le XIX et le XXième siècle, et comme beaucoup d’autres romans du terroir, avec une préférence pour cette bonne vieille Seconde guerre mondiale.


Frédérique-Sophie Braize a sorti deux livres chez eux, dont l’intriguant Soeurs de lait, sur le scandale du radium dans les années 1920, primé à plusieurs reprises, et celui-ci, Lily sans logis. L’auteure, née en Haute-Savoie, élevée par des grands-parents en montagne, utilise souvent ce cadre , et plus particulièrement celui du nord, entre le Léman et les Alpes, la région du Chablais.


Ce qui tombe bien, puisque c’est une région que je connais bien. Avec Lily sans logis, il s’agissait pour moi de découvrir un peu mieux ce que pouvait être un roman du terroir plus traditionnel (contrairement aux plus modernes Trois saisons d’orage de Cécile Coulon ou des Battantes de Simona Brunel-Ferrarelli), une lecture que j’imaginais facilitée par un cadre connu et une période intéressante, le XIXe siècle.


C’est en 1861 que la jeune Lily Rossignol, une jeune femme, arrive sur Thonon, capitale du Chablais, pour la traditionnelle foire de Crête, rassemblement festif et paysan en place depuis plusieurs siècles sans discontinuer, hormis quelques événements comme un certain virus en 2020. Elle n’arrive pas seule, un Saint-Bernard tire une petite carriole, dedans couchent deux enfants, Castor et Pollux. L’équipage a quitté sa maison de montagne suite à la mort de la mère, ce qui vaut à la grande fille rousse le surnom de Lily sans logis. Pour subsister, elle n’a pas d’autre choix que d’exhiber contre monnaie sonnante les deux bébés, car ceux-ci ont une particularité, ils sont réunis par la taille.


La foule se regroupe, les curieux paient, les offusqués crient au Démon. Un chirurgien, médecin en chef, Vincent Genoux a été captivé par les promesses de cette double créature, qui pourrait lui attirer la gloire. Un homme bien mis, Audebert, lui, n’a d’yeux que pour cette Lily, au charme juvénile et sauvage. Une auberge, L’Auberge des pèlerins, sera le point de chute de Lily et de son équipage, dirigé par Agrippine, une patronne en lien avec Audebert, mais dont la misère de Lily ne lui sera pas indifférente.


C’est la littérature du XIXe siècle et du début XXe siècle que semble convoquer Lily sans logis. Frédérique-Sophie Braize dans ses lectures de jeunesse ou de coeur a déjà cité la Comtesse de Ségur, mais aussi Marcel Pagnol ou Ramuz. Des auteurs ancrés dans une certaine vision de la terre, mais aussi de la destinée.


Lily sera ainsi le paratonnerre de milles épreuves, mais dont le ravissement des jumeaux par le Dr Genoux ou les manigances intéressées d’Audebert seront les principales. Il ne sera jamais oublié la triste condition de cette jeune fille, d’abord considérée comme une fille perdue, une miséreuse venue de la montagne à la recherche d’une vie moins pire, parfois comme une idiote. Et il est vrai qu’elle est présentée comme assez naïve, bien inconsciente des vues d’Audebert sur sa personne, malgré quelques avertissements peu discrets.


Il faut reconnaître que l’écriture assez détaillée des états d’âme des personnages ne crée pas non plus une ambiguïté intrigante, le plus souvent tout est dit des rencontres dans les premiers instants, ne sortant que rarement des caractéristiques proposées au lecteur dans ces présentations. Les intentions d’Audebert sont ainsi tristement évidentes pour le lecteur, bien qu’il ne sache pas encore dans quelles modalités elles s’exerceront. Toutes les menaces qui planent sur Lily sont écrites, sous nos yeux, voir la jeune femme buter contre elles ou les découvrir bien après n’apporte guère de surprises. Toute la sympathie qu’on pourrait avoir pour Lily est le plus souvent écorchée par ses décisions, et par l’emphase que met l’auteure sur ses malheurs et sa misère, pour mieux provoquer la pitié.


Frédérique-Sophie Braize écrit d’ailleurs avec un style qui rappelle ce genre, avec des descriptions assez poussées, mais aussi un sens du vocabulaire assez recherché, faisant revivre certains termes ou expressions moins usités de nos jours. L’écriture de la romancière n’est pas si mauvaise, on peut même lui trouver du caractère. Elle a notamment un certain talent pour évoquer des atmosphères, décrire des lieux ou exprimer les personnalités de certains de ses personnages. Reconnaître les lieux est un plus, un petit plaisir, d’autant que l’auteure semble avoir fait ses recherches avec un certain sérieux, malgré une liberté apparemment sur l’emplacement de l’hospice de l’Hôtel-Dieu de Thonon, situé dans le roman sur l’endroit central du roman, la place de l’Hôtel de ville (visité d’ailleurs pendant les Journées du patrimoine le jour même de la fin de ma lecture, amusante coïncidence). Pas d’inquiétudes, un lecteur étranger à ce cadre pourra néanmoins y déambuler avec le récit, et profiter de certains beaux passages tels que l’évocation du paysage du Léman, toujours aussi beau.


Mais cette écriture se perd aussi dans d’autres directions que je trouve préjudiciable. Il y a cette narration à la troisième personne sans équivoque, mais aussi d’autres choix qui apparaissent comme faibles, ou du moins peut-être pas assez bien rendus. Il y a certaines idées un peu faciles, comme cette fin un peu trop positive, avec le nouvel emploi de Lily, peu crédible, ou d’autres propositions plus saugrenues, à l’image de certains noms, parfois trop pittoresques, parfois trop ridicules : l’aide du médecin s’appelle Bismarck Bistouri, il est de nature prusse et est interne, quelle subtilité. Mais aussi le fait que l’auteure peine à rendre l’urgence de certaines situations, qui apparaissent alors comme peu importantes, malgré les comportements des personnages. L’écriture se fait parfois trop longue dans certains passages, tandis que dans d’autres l’urgence injectée ne prend pas. Une bonne grosse partie du roman tient sur enlèvement des jumeaux, et ce que veut faire le chirurgien Genoux, mais jamais on ne tremble pour eux.


Le roman a de bonnes critiques, par ailleurs, surtout par des lecteurs de tels romans. Mais pour moi cela aura été une lecture un peu pénible, pas à la hauteur de mes attentes, dans ses personnages ou son déroulé, mais le plus souvent à cause de son ton, un peu trop misérabiliste et sans véritables surprises. Lily manipulée, Lily bafouée, (par des hommes, évidemment), merci, c’est bon.

SimplySmackkk
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le 14 janv. 2021

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