On le sait parfaitement aujourd’hui même si certains feignent encore de l’ignorer, notre vie privée ne l’est plus. Et plus on est présent sur ce qu’on appelle béatement les réseaux sociaux, moins elle l’est. C’est avec ce thème, sous-jacent à celui de l’Intelligence Artificielle dans la technologie, que Minier entame son nouveau roman, bille en tête.
Moïra, une jeune française, est engagée par un géant chinois du numérique pour humaniser DEUS un logiciel doté d’une intelligence artificielle. Elle part donc s’installer à Hong-Kong, chez Ming, pour se rendre compte qu’elle travaille désormais pour une société où l’on a tendance à mourir de mort violente et découvrir que la finalité de cette machine est « d’inciter ses utilisateurs à lui céder la responsabilité de leurs décisions car ils savent qu’elle les prendra mieux qu’eux »
Prouvant ses capacités d’adaptation étonnantes, l’écrivain Minier s’attaque au techno-thriller un peu dans la veine de Michaël Crichton. A préciser toutefois qu’il ne s’agit nullement de science-fiction car toute la technologie décrite dans son ouvrage existe déjà !
Fouillé, très fouillé même (près de 50 ouvrages de référence cités en fin de volume le prouvent) le roman nous détaille une technologie qu'on croyait réservée au cinéma (chiens robotisés surveillant une propriété). Ce genre de récit peut rapidement devenir lassant tant les considérations techniques développées par l’auteur finissent par supplanter le fil narratif mais par la grâce de la fluidité de l’écriture de Minier, le lecteur s’accommode rapidement d’un récit complexe aux ramifications multiples.
Si la trame littéraire est très riche, on pourra regretter que la panoplie de héros proposés soit d’un classicisme désuet : la jeune héroïne pure et naïve ; le jeune policier fringuant et inoxydable ; le vieux flic toxicomane qui est revenu de tout etc… mais on lui pardonnera volontiers cette faiblesse parce que Minier est indubitablement le nouveau maître du thriller français. Il alterne habilement les séquences d’action, d’intrigue et considérations techniques tout en passant sans heurt d’un personnage à l’autre sur fond de Hong-Kong, une des villes les plus densément peuplées de la planète où grouille sous la surface l’inframonde de la pègre, des triades, de la prostitution, du jeu et du racket. Même les éléments naturels, comme souvent chez Minier, se feront acteurs à part entière du récit. L’histoire débutera avec une météo clémente pour virer à la pluie et finir en véritable typhon.
Et si on est assez loin de la noirceur des enquêtes de Servaz, on aura à tout le moins quelques frissons d’angoisse en découvrant comment la technologie peut prendre possession de nos vies. On se méfiait déjà de Zuterberg, Bill Gates ou Jack Dorsey, ces PDG tout puissants du GAFAM mais on ignorait que les Chinois avaient leurs propres géants tout aussi intrusifs. A cette différence près : Les Chinois savent pertinemment ce que les Occidentaux font, l’inverse n’est pas vrai ! Et quand on sait combien, là-bas, l’individu importe peu et que les freins imposés par nos codes moraux et éthiques n’ont aucune valeur chez eux, on peut raisonnablement commencer à s’inquiéter. Si on constate, de plus, que l’armée rouge ne cesse de s’accroître, alors on peut vraiment s’inquiéter. Mais que ce roman soit prémonitoire ou un cri d’alarme salutaire lancé aux Occidentaux, dormons en paix parce qu’il est déjà trop tard.