Dans un polar, il est normal que la police occupe une position centrale. C’est même la moindre des choses. Et puisque c’est toujours le commandant Cervaz qui conduit l’enquête dans le dernier roman de B.Minier, on se dit que tout va bien.
Sauf que cette fois la police est non seulement vraiment au coeur des choses mais on sent l’auteur nettement moins préoccupé par son ouvrage que par la violence qui baigne son pays et par l’incapacité qu’ont les autorités à l’endiguer. La nature même de son enquête n’est d’ailleurs pas née de son imagination mais dans la réalité d’un quotidien de plus en plus violent. (la scène inspirée de l’affaire Viry-Châtillon est éloquente à ce sujet) On pourrait même penser que son roman n’est qu’un prétexte pour nous rapporter les craintes qui le tourmentent.
C’est vrai que la trame n’est guère épaisse, l’enquête rapidement menée (une semaine) et la chute prévisible. On a connu Minier en meilleure forme. L’intérêt du livre serait donc ailleurs ? Probablement dans cette radiographie qu’il fait d’une France qui est à bout et qui est prête à tout pour qu’on l’écoute « avec la police comme dernier rempart, comme dernière digue d’un système qui s’effondre »
Mais « C’est une guerre perdue d’avance tant les flics sont livrés à eux-mêmes, méprisés ou abandonnés à leur sort par les juges »
Sévèrement tancés par lui, ces derniers n’en sortent pas indemnes : « des juges complaisants qui libèrent des individus mis en examen pour faits graves » ou « ceux qu’on ne peut appeler le WE parce qu’ils jouent au golf ou « le policier considérait qu’un fossé infranchissable s’était creusé entre les juges et les flics et que les premiers avaient abandonné les seconds en pleine campagne, au milieu d’une guerre qu’ils auraient dû mener ensemble » ou encore : « ces juges dont la réponse judiciaire n’est jamais à la hauteur du préjudice subi par les victimes ». Les propos ne sont pas équivoques et Minier, sur sa lancée, balance d’autres grenades explosives : « les journalistes qui s’autocensurent par peur des représailles » ou ces maires dépassés et impuissants qui vous rétorquent à la première remarque « qu’il ne faut pas faire d’amalgame » ou encore ces architectes fiers de construire des cités avec une densité de population de plus en plus forte. Sans oublier les enseignants démissionnaires ou « ceux qui par idéologie sont prêts à légitimer la violence du fait de l’injustice originelle subie par ces jeunes délinquants au prétexte qu’ils ne sont pas blancs »
On le lit, Minier balance du lourd. Il n’accuse personne et tout le monde à la fois mais il n’a pas la candeur de croire que la police est seule détentrice de la vérité et est tout aussi corrosif avec les ripoux qui déshonorent la profession : « une flétrissure qui discrédite le travail de la grande majorité des policiers luttant jour après jour contre le pourrissement d’une société gangrenée par la violence et les trafics »
Dans cet ouvrage qui tient autant du roman que du pamphlet politique, Minier réussit tout de même cet exercice périlleux de prêter à ses personnages des pensées extrêmes sans qu’on pense qu’elles soient les siennes. Bien qu’on devine ses inclinaisons.
Reste que devant l'incompétence des politiques qui ont abdiqué depuis longtemps il faudra bien que quelqu’un enraye la lente mais inexorable montée de ceux qui pensent que maintenant c’est à eux de prendre les choses en main en conquérant par leurs voix (ou pas) un pouvoir que les urnes leur refusent depuis longtemps mais qui semble de plus en plus à leur portée. Affaire à suivre.