J’avais lu ce roman il y a vingt ans sans en retirer un plaisir particulier mais après avoir adoré « Le petit copain » et « Le chardonneret », j’ai relu cet ouvrage.
Mon Dieu comment avais-je pu passer à côté d’un tel chef d’œuvre ?
C’est évidemment un thriller psychologique mais c’est surtout une tragédie à la façon antique, placée sous le signe du fatum, le destin inéluctable qui dépasse l’homme. Empli de citations et de références grecques et latines, le livre nous raconte l’histoire du petit monde volontiers élitiste des étudiants en langue ancienne, volontairement isolés sur leur campus. Personnages profondément tragiques, ados attardés empreints d’un optimisme naïf les poussant à vivre loin du vulgum, jouant à être adultes dans des costumes trop grands pour eux. Ils vont peu à peu se noyer dans les eaux glauques de la perversité en cherchant une vérité à mi-chemin entre l’extase païenne et la rationalité grecque. Julian, professeur étrange, tenant plus du gourou que du magister, est la seule figure paternelle qu’ils envisagent et chacune de ses remarques a la valeur d’une citation socratique.
L’ambiance envoûtante du livre nous rappelle celle de Brett Eaton Ellis dans son observation acerbe des campus américain ( Ils ont d’ailleurs été condisciples et il se chuchotait que quelques étudiants de leurs amis auraient servis de modèles à Donna Tartt). Avec sa prose bienveillante, son écriture souple et soyeuse, l’auteure a l’art de nous raconter l’indicible, sans qu’on prenne la peine de s’en offusquer et elle nous englue dans sa toile, page après page. Le lecteur ne peut qu’assister, impuissant, à la montée du mal absolu tandis que les personnages vont passer en quelques mois de l’idéalisme innocent à la résignation et le désespoir, passage initiatique (et symbolique) douloureux du monde de l’adolescence à celui des adultes.
Donna Tartt épluche les âmes comme personne, et couche après couche, comme un oignon, elle nous les livre dans leur plus cruelle vérité. Elle nous dépeint des personnages aux caractères bien trempés mais infiniment complexes que la magie de son écriture parvient à nous rendre attachants même s’ils sont hautains, snobs et prétentieux. ( la description de la famille Corcorian est un chef d’œuvre absolu de délicieuse cruauté).Tragédie et théâtre jusqu’au tomber de rideau final où Richard, le narrateur, viendra nous présenter, un à un, les personnages, où même la mort saluera le public.
C’est un livre époustouflant de beauté, de culture et de maîtrise littéraire.
Et si ce maître des illusions n’était autre que Richard, nous laissant croire, dans une délicieuse illusion, que nous avons été admis dans la plus dangereuse des confidences ?