L’argument de départ de Mad Dogs tient sur un ticket de métro. Cinq individus, quatre hommes et une femme, s’évadent de l’asile psychiatrique où ils sont internés après avoir découvert le cadavre de leur psychiatre. N’ayant pas envie de porter un chapeau qui les travaille déjà beaucoup, ils volent une voiture et tracent la route vers Washington où ils espèrent trouver l’explication de ce meurtre.
Et voilà le lecteur embarqué dans un road novel de près de 450 pages, sans temps mort, ponctué de rencontres improbables et d’explosions, en compagnie d’une poignée de cinglés au passif dramatique.
Présenté ainsi, le roman de James Grady ne se distingue pas beaucoup du thriller moyen. Mais, en vieux routier de l’écriture, l’auteur a le sens du suspense, de la formule qui tue, et sait marier l’action et l’introspection avec talent et une bonne dose de roublardise.
« Son regard balaya les cinq étrangers assis au fond du car. Ce type aux cheveux blancs sans petits-enfants. Cette Noire qui ne ressemblait à la sœur d’aucun de ces types. Le grassouillet avec ses grosses lunettes, perché au bord de son siège. Le rebelle rock’n’roll aux cheveux hirsutes qu’aucune grand-mère ne voudrait voir débarquer chez elle avec sa fille chérie. Le poète avec des fantômes dans les yeux et un sourire à cran d’arrêt.
Vous êtes un drôle de famille.
Comme tout le monde, répondis-je. »
On ne s’ennuie pas un seul instant en lisant le périple rocambolesque de nos cinq fous en cavale. Poursuivis à la fois par les tueurs de la CIA et leur passé, ils déploient tous leur savoir faire pour atteindre leur destination, espérant ainsi sauver une nouvelle fois leur pays. Car, s’ils ont été internés dans cet asile secret au fin fond du Maine, ce n’est pas pour quelque crime banal imprimé à la une d’un journal local. Ce traitement s’avère leur récompense pour les services rendus en tant qu’agent de terrain. Engagés dans la guerre secrète se jouant dans les coulisses de l’Histoire, ils sont les héros sans médaille des États-Unis. Des tueurs à la psyché cabossée, perclus de névroses tenues en laisse et de traumatismes rendus inoffensifs grâce à une camisole chimique. Des espions, retirés du service actif, qui savent que la vérité est la base d’un bon mensonge.
« Que deviendra l’Amérique quand le département de la sécurité intérieure aura enfin réussi à installer des caméras de surveillance dans tout le pays ?
Les psys comme le Dr F. devront redéfinir la paranoïa. »
Irrésistiblement drôle, Mad Dogs joue aussi sur la fibre du désenchantement. Celle de l’observateur obligé de vivre dans le monde tel qu’il va mal et qui doit se contenter d’un brin d’ironie pour le supporter. Vic, Eric, Russell, Zane et Hailey, nos cinq joyeux lurons sont fous et dangereux. Soldats perdus d’une Agence qui leur a fait accomplir ses sales besognes dans les points chauds de la planète, ils portent pourtant un regard sensé sur l’Amérique. Un point de vue évoquant celui du personnage de La mort aura tes yeux de James Sallis. Mais ici, Grady opte pour une narration beaucoup moins contemplative. Le rythme s’apparente en effet à celui d’une course contre la montre. Course contre les tueurs de l’Agence lancés à leur trousse. Course contre la folie qui menace de les rendre inopérants lorsque leurs médicaments cesseront d’agir.
« Vous fuyez devant des ennemis invisibles. Bienvenue dans le monde réel. »
Même si le dénouement apparaît un tantinet convenu, voire faiblard, avec Mad Dogs, James Grady accouche d’un honorable roman de l’après 11 septembre. Le roman d’une Amérique paranoïaque où la menace se trouve nulle part et partout à la fois. Un pays où les gens sensés sont internés pendant que les fous veillent aux destinées de la nation.