Emmanuel Venet est écrivain, il sait écrire. Il est psychiatre, il semble connaître son métier (1).
En tout cas, il l’aime : c’est ce qui ressort de ces cent petites pages. Comme tous ceux qui aiment leur métier, il souhaite l’exercer dans de bonnes conditions. Et comme tous ceux dont le métier ne consiste pas à soutirer à autrui un maximum d’argent en fournissant un minimum d’efforts, il est dans la merde.
Je ne reviendrai pas ici sur le contenu détaillé du livre : cela ferait doublon avec une excellente critique. En gros, il s’agit de défendre une approche intersubjective et désaliénante de la psychiatrie, contre une approche protocolaire et réparatrice : en d’autres termes, « Si la fonction consistant à soigner les psychismes pour rendre les patients plus libres devait céder la place à celle de réparer les cerveaux pour rendre les patients plus adaptés, les psychiatres, devenus nerviatres, se retrouveraient dans le rôle de fournir du “temps de cerveau humain disponible” aux logiques marchandes qui se le disputent. […] Comment oser prétendre que ce serait un progrès ? » (p. 74) – et on comprend qu’Emmanuel Venet ne sera jamais le ministre de la Santé d’une start-up-nation.
En revanche, il en remontrerait à plus d’un enseignant-chercheur – sans parler des syndicalistes, y compris dans des professions dites intellectuelles – pour la clarté des explications. Cela inclut les choix de vocabulaire. Vous ai-je dit qu’Emmanuel Venet est écrivain, qu’il sait écrire ?
À un moment, il compare la sectorisation psychiatrique avec la carte scolaire. Il établit aussi un bref parallèle entre la psychiatrie et la lutherie. Je serais curieux de lire d’autres livres écrits sur un métier que je ne connais pas par quelqu’un qui le pratique. Sans ironie aucune, un « Plaidoyer pour une plomberie authentique » ou une « Proclamation pour un bûcheronnage non industriel », écrits aussi clairement que ce Manifeste, vaudraient le détour.
(1) Pour un bel exemple des apports réciproques entre son activité professionnelle et son activité littéraire, lire ses Observations en trois lignes.