J'ai découvert par hasard "Marche à vif jusqu'à l'homme", qui propose dix poèmes, extraits de plusieurs recueils d'Edmond Jabès. Trente-sept pages, précédées d'une introduction, pour le faire découvrir à de nouveaux lecteurs. Les amateurs peuvent ensuite chercher leur bonheur dans "Le Seuil Le sable". L'initiative est très positive, même si certains choix sont discutables.
"LE ROCHER DE LA SOLITUDE", publié dans "La clé de voûte", ouvre le livre. Six voix, semblables à des vagues, définissent la solitude, cherchent ses qualités, multiplient les comparaisons. Dans ces voix obstinées, j'entends le questionnement de Juifs sur leur identité et leur solitude collective. Des voix étrangères interviennent avec réticence (ne rien entendre, ne rien donner...), gardent leur distance avec les six voix. La première voix parle des morts comme de maîtres "avec leurs paroles et leurs gestes essentiels" qui vivent dans les livres, objets d'étude. La fin du poème évoque le création d'Israël en 1948 (le recueil est de 1949) : "Le moment est venu / d'élire et d'unir
Nous étions deux Nous sommes dix
Nous serons des millions."
"L'AUBERGE DU SOMMEIL" est un long poème, plutôt difficile. Si le but était de faire aimer cette poésie au plus grand nombre, il convient mal... "SOLEILLAND", davantage accessible, est l'élégie pour un pays où l'auteur accumule les pertes : un collier, un être cher (son frère), une chambre, une ville... De nationalité italienne, Jabès vivait en Égypte, je vous laisse le plaisir de trouver quel est ce "pays du soleil" !
"LA SOIF DE LA MER" me surprend. Le narrateur interdit à une femme de bouger, de respirer, de parler, de sourire, de pleurer ! Seraient-ce les délires d'un jaloux pathologique ? Je trouve une réponse dans "Le Seuil Le sable". Le poème a été coupé à la première page alors qu'il en compte huit ! À leur lecture, je le comprends et l'apprécie. Épris d'absolu, le narrateur imagine sa bien-aimée morte pour lui donner la vie. Par ce fantasme créateur, il devient l'amour unique d'une femme, son dieu unique.
"JE VOUS ÉCRIS D'UN PAYS PESANT" exprime les liens inextricables pour le poète entre le désir, l'amour et les mots : "J'ai besoin de vous pour aimer, pour être aimé des mots qui m'élisent." Le respect des jouets de l'enfance lui apprend celui des mots : "Je devais respecter leur mécanisme, leur âme immortelle."
Le titre "Marche à vif jusqu'à l'homme" est un aphorisme, publié dans le recueil "Les mots tracent". Avant-propos et choix de poèmes par Sophie Nauleau.