Université de Princeton, 1905 : une malédiction s’abat sur le camus et ses environs. La famille Slade est particulièrement éprouvée. Annabel Slade, petite-fille du révérend Winston Slade, ancien président de l’Université et ancien gouverneur de l’état du New-Jersey est enlevée le jour de son mariage. Au pied de l’autel, alors qu’elle vient de prononcer le fameux « oui », elle fuit pour suivre un curieux étranger à l’aspect vaguement européen. Nul doute que cet homme est le diable en personne. Diable qui a envoûté cette innocente vierge, l’obligeant à quitter les siens pour les faire souffrir.
Josiah Slade, le frère aîné cherchera sa sœur dans tout l’état avec la ferme intention de tuer l’étranger au mépris des lois en vigueur interdisant les duels. Josiah est beau, intelligent et issu d’une des plus illustres familles de la région. Il est courtisé mais ne semble s’intéresser à personne. Il vire socialiste après avoir lu le célèbre roman d’Upton Sinclair (La jungle) décrivant les dures conditions de travail des ouvriers à Chicago.
On croise également dans ce roman, Grover Cleveland, ancien président des Etats-Unis ; Woodrow Wilson, président de l’Université de Princeton et futur président des USA (élu en 1913) ; Mark Twain, dandy vieillissant tout habillé de blanc ; Jack London, jeune écrivain à succès que Joyce Carol Oates ne dépeint pas sous un jour avantageux.
Maudits, roman baroque à l’instar des mystères de Winterthurn, fait la part belle au fantastique. Morts mystérieuses, assassinats, folie, envoûtement, chauve-souris, chats noirs, marécages putrides, Diable, Dieu cruel et jaloux, vengeances, expiations. Sur un fond historique précis et rigoureux, Joyce Carol Oates brosse un tableau maléfique de ce début de vingtième siècle. Maudits est en effet une formidable critique de la société américaine de l’époque, la naissance du socialisme, la condition des noirs qui ne sont plus esclaves mais encore très largement exploités, le Klux Klux Klan, les premières suffragettes, les droits et le vote des femmes – réclamés par certains, raillés par d’autres, le fonctionnement de la prestigieuse université...
Un travail de bibliographie colossal pour camper son histoire dans ce décors que JCO connait si bien (elle y est enseignante depuis 1978). Une atmosphère maléfique que j’ai imaginée avec les yeux de Tim Burton. Une atmosphère poisseuse, collante, d’une noirceur infinie. De belles images toutefois avec des personnages ambigus, cinglés, nerveux, harassés, terrifiés… Une narration très originale menée par un historien présentant les faits de l’époque aussi froidement et clairement que possible. Une construction en chapitres thématiques déroulés par l’historien posant rigoureusement chaque nouvelle brique sur la précédente.
Une narration intéressante mais non dénuée de longueurs et de digressions pas toujours pertinentes à mon sens. Je dois même avouer que les 150 dernières pages ont été un tantinet longuettes (810 pages en tout : un bon pavé).
Une lecture mitigée, donc – avec plein de bonnes choses et d’autres moins indispensables. Le côté historique et analyse de la société américaine est passionnante. L’aspect purement maléfique et satanique sera très intéressant à voir si d’aventure le réalisateur d’Edouard aux mains d’argent décidait d’adapter ce roman au grand écran. Mais la somme de toutes les histoires que JCO déploie en parallèle me semble lourde. Le livre est trop épais, l’intrigue trop chargée, les personnages et leur parcours respectifs trop nombreux. Certes, le tout s’insère bien dans le roman (c’est JCO tout de même), mais j’aurais aimé moins de digressions, moins de détails, pour une histoire davantage centrée sur la famille Slade.
Maudits est à mon sens meilleur que ses deux derniers livres, « Le mystérieux Mr Kidder » et surtout « Mudwoman » que je n’ai que moyennement apprécié. Mais il reste bien inférieur à ses meilleurs comme « Nous étions les Mulvaney », « Les Chutes » ou encore « Mère disparue » (pour ceux que j’ai lu).