Parfois, en montagne, vous voyez quelqu'un arriver de loin. Sa silhouette se détaille petit à petit, à mesure qu'il approche, et cette attente a quelque chose d'exaltant.

Parfois, on vous dit quelque chose, et vous vous le répétez pour vous même. Comme si vous remâchiez cette pensée, comme pour la digérer, la savourer.

Dans les deux cas, c'est un plaisir sensuel plutôt qu'intellectuel. Un plaisir simple, mais qui peut véhiculer des sensations raffinées.

C'est un peu la même chose avec ce roman. Je vais dégager les grands traits de l'intrigue, passez si ça ne vous intéresse pas.
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Memed le mince est un jeune garçon qui a perdu son père. Il vit à Deyirmenolouk, un des cinq villages tenus d'une main de fer par ce saligaud d'Abdi Agha, qui prend parfois jusqu'à deux tiers de leur récolte aux paysans. Ces derniers sont peu courageux et surtout peu éduqués, leur monde se résume au village et à leur champ. Un jour, Memed s'enfuit et se réfugie pendant plusieurs mois chez un paysan d'un village voisin. Mais il revient, par inquiétude pour sa mère. Abdi Agha fait de lui un exemple et défend de donner à manger à sa famille, alors que la récolte a été mauvaise.

Puis Memed apprend que son amour, Hatché, doit être fiancée au neveu d'Abdi Agha. Memed et Hatché fuient, mais à cause d'Ali le boiteux, un brave gars qui ne peut pas résister quand on lui donne une piste à suivre, ils sont rattrapés. Acculés, Memed tire sur Abdi et son neveu, et pense avoir tué les deux. Il fuit, mais Hatché est rattrapée et accusée de double tentative d'homicide.

Pendant ce temps, Memed entre dans la bande de voleurs de Dourdou le Fou, un bandit intrépide jusqu'à la folie, et mal aimé, car il pique jusqu'au caleçon des gens (c'est sa marque de fabrique). Puis Memed, Djabbar et Redjep le sergent (un bandit légendaire) se séparent de Dourdou après que celui-ci ait attaqué un yorouk qui les avait aimablement recueillis après une déconvenue.

Nos trois héros, avec l'aide d'Ali le boiteux, tentent une première fois de régler son compte à Abdi Agha dans un village des marais, qui par leur faute brûle entièrement. Redjep meurt. Djabbar et Memed rentrent à Deyirmenolouk, déclarent que la terre n'appartient plus à Abdi Agha. Memed fait faucher et brûler tous les chardons du plateau stérile proche du village. D'autres villages, par l'entremise du vieux Osman, demandent sa protection (contrairement aux autres bandits, qui chassent les petits villageois hostiles aux grands propriétaires, Memed prend la défense des pauvres).

Reste à délivrer Hatché. Avec l'aide d'Ali le boiteux, Memed va la voir en prison. Elle doit être bientôt transférée à Kozan, dans l'attente d'une amnistie générale pour fêter les 10 ans de la Révolution Turque. Lors du transfèrement, Memed la délivre, ainsi qu'une vieille veuve à qui on ne la fait pas, Iraz. Tous trois se réfugient sur le Mont Ali, pic dénudé, mais où se trouve une grotte bien cachée. Hatché tombe enceinte. Memed est assiégé par plusieurs représentants de l'ordre. Lors de l'accouchement, il est à deux doigts d'être pris, mais lorsque le capitaine comprend pourquoi Memed est en faiblesse, il renonce.

A la fin, Abdi Agha est tué par Memed, qui quitte Deyirmenolouk sans demander d'amnistie.
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J'aime énormément le début. Le style de Kemal allie une grande finesse et un vocabulaire très simple, très terre-à-terre, qui sent bon le terroir. Le livre s'ouvre sur une sorte de travelling qui va de la côte turque pour monter vers les plateaux, jusqu'à ce paysage désolé des champs de chardon. Ce sont ces premières pages qui m'ont persuadé de continuer ce livre trouvé par hasard chez un bouquiniste en face du Jardin du Luxembourg. L'auteur connaît très bien les paysages qu'il décrit, leur apparence au cours de la journée, du mois, de l'année.

La culture orale est aussi à l'honneur : chansons, allusion à certains poètes (faudra que je creuse ce Dadaloglu). Surtout, même si le livre est en traduction, on sent la volonté d'être fidèle au parler paysan. Les phrases des dialogues sont courtes, mais s'enchaînent comme des litanies. Ces fichus paysans sont d'ailleurs assez retords et matois, ou parfois au contraire déconcertants de simplicité, voire de naïveté.

Enfin, ce roman d'apprentissage fonctionne comme une épopée. Notre héros est paré de toutes les qualités, il est aimé des villageois (même s'ils disent le contraire pour ne pas se faire tabasser). Parfois, un ami le sauve d'une situation désespérée. Souvent, d'ailleurs, un personnage dit quelque chose et le groupe va le répéter, un peu comme un choeur antique. Il y a le souffle d'une épopée dans les scènes de combat, qui sans cela serait répétitive. On est donc dans l'archétype, celui du bandit au grand coeur, du justicier qui va se venger du tort que lui a fait un gros salaud lâche.

Le personnage féminin, sur les derniers chapitres, est étonnamment dévalorisé, comme si c'était de sa faute si elle était enceinte et mettait ainsi le héros en danger. On est presque soulagé de sa mort, qui arrive un peu comme un cheveu sur la soupe. Maladroit et étrange.

"Memed le minde" est à la fois un chouette roman de terroir et une épopée sur un bandit au grand coeur : laissez-vous tenter, vous devriez lire sans grande difficulté les 550 pages de ce roman.
zardoz6704
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le 2 févr. 2014

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