"Je ne me rappelle pas avoir appris à lire et j'ai l'audace de croire que j'ai toujours su". Ainsi commence "Mes bibliothèques", où Varlam Chalamov raconte son expérience de lecteur. En réalité, le prisme des livres, des écrivains et des bibliothèques éclaire sa vie d'un rayon singulier. Les bibliothèques fréquentées étaient celles de prisons, de centres pour détenus où il a vécu une vingtaine d'années...
A Kolyma ou dans d'autres camps, Varlam ruse pour trouver des livres. Des années passent sans qu'il en croise un seul. A plusieurs reprises, incapable de concentration intellectuelle, il devient illettré. "Les livres avaient cessé d'être mes amis. Je m'étais déshabitué d'eux et eux de moi." A force de volonté, il retrouve la faculté de lire. Il exerce divers métiers : agent technique dans une exploitation de tourbe, aide-médecin ou aide-bibliothécaire. "Les livres sont ce que nous avons de meilleur en cette vie, ils sont notre immortalité".
Ce bref récit, d'une modestie limpide, devient une odyssée métaphysique. Nous découvrons la survie intellectuelle d'un lecteur inné, qui veut devenir écrivain. La conclusion en est troublante : "Je regrette de n'avoir jamais possédé ma propre bibliothèque".