De la prescription disciplinaire à la liberté individuelle

Sylvain Garniel le rappelle dès les premières pages de son essai : Michel Foucault n’est rien de moins que le philosophe le plus cité au monde dans le champ académique. Celui qu’on peut ranger par commodité dans le courant post-structuraliste s’inscrit en réalité à la croisée des disciplines. La philosophie, la psychologie, l’histoire, les sciences humaines nourrissent sa réflexion à parts quasi égales. Sur le cheminement de l’intellectuel français, ex-professeur au Collège de France, l’auteur note : « Si le premier mouvement de la réflexion foucaldienne s’établit dans l’expérience des limites de l’ordre des discours, le déplacement, qui a lieu à partir des années 70, interroge au cœur de la production des sujets politiques, au milieu des effets du pouvoir, le jeu possible des attitudes. »


Michel Foucault a élaboré une perspective éthique en vertu de laquelle l’individu « règle ses comportements sur une certaine conception de la vérité morale ». Ses travaux ont démontré comment l’appréhension de la normalité s’est construite en écho avec les évolutions sociales, politiques, sanitaires, intellectuelles et/ou culturelles. C’est en historien des sciences qu’il a notamment pointé les discontinuités et l’arbitraire qui ont abouti à des définitions changeantes de la folie et des institutions censées y apporter une réponse adéquate. Et si le discours de l’aliénation est transformé en raisonnement logique, c’est uniquement à travers le regard normatif du praticien.


Sylvain Garniel se penche sur le pouvoir des sciences humaines quant à la détermination des comportements. Michel Foucault en a décrit les mécanismes par le menu : certaines institutions telles que l’école, l’atelier, la caserne, l’hôpital ou la prison s’avèrent génératrices de pouvoir disciplinaire. On y conditionne les corps et/ou réprime les « déviances ». La sexualité, soumise aux considérations religieuses, démographiques, sanitaires, culturelles ou encore publicitaires, s’avère un exemple idoine de liberté entamée par la problématisation sociale et culturelle. Quant à la justice, elle est notamment perçue à travers le prisme de l’individualisation des peines ou de la surveillance panoptique imaginée par Jeremy Bentham. En filigrane, l’essai accorde également une place au « cercle anthropologique » foucaldien, lequel fait de l’homme à la fois le sujet et l’objet de la connaissance, avec tout ce qui peut en résulter.


Traduisant la pensée de Michel Foucault, la « philosophie des attitudes » mise en exergue par le titre de l’ouvrage passe par les contre-conduites. Ces dernières s’appréhendent comme des déviations par rapport aux normes disciplinaires. Il en va ainsi de la désertion ou des organisations secrètes, pour ne citer que ces deux exemples. Sylvain Garniel rappelle qu’un travail éthique peut aboutir à la mise en doute des certitudes, ce qui permet de recouvrer une certaine forme de liberté individuelle, qu’on peut opposer, pour schématiser, à l’ordre en vigueur. Et l’auteur de conclure : « La tâche que nous assigne Foucault, c’est celle de renouveler ces expériences par un effort éthique. Il faut imaginer une morale non prescriptive, une morale qui ne soit pas centrée sur le sujet mais bien sur les attitudes et les stratégies que nous pouvons expérimenter ensemble pour tenter d’être moins gouvernés, d’être plus libres. »


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Cultural_Mind
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le 25 janv. 2021

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