Eté 2008. Je suis en vacances à San Francisco et bien sûr le premier endroit dans lequel je me rends est le quartier de Haight-Ashbury, épicentre de la contre-culture des années soixante. Après avoir erré là quelques heures sans vraiment savoir ce que je cherche, j'entre dans une librairie et mon regard est aussitôt attiré par une couverture aux couleurs psychédéliques sur laquelle on peut vaguement reconnaître le visage de Brando dans "Le Parrain" et à côté duquel deux mots se détachent : « Peter Biskind ». Je connaissais cet auteur pour avoir dévoré quelques années auparavant son "Nouvel Hollywood" traduit en 2002 chez le Cherche Midi, plongée hallucinante dans l'univers déjanté des movie brats qui révolutionnèrent le cinéma hollywoodien dans les années 70 (les Coppola, Hopper, Scorsese, de Palma, Ashby, Bogdanovitch…). J'avais aussi lu son "Sexe, mensonges et Hollywood" (Le Cherche Midi, 2006) mais avec beaucoup moins d'attention. J'avais en effet trouvé sa charge anti-Redford et anti-Miramax moins passionnante et surtout plus amère. du reste, pour moi, Biskind demeurait associé aux tumultueuses années soixante-dix et je l'imaginais un peu comme un Lebowski cinéphile, non pas fan inconditionnel des Creedence mais plutôt de Hal Ashby (l'un n'empêchant pas l'autre, bien au contraire). D'ailleurs le bonhomme fut durant les années soixante un militant pacifiste convaincu et acharné.


Diplômé de littérature mais féru de cinéma, il se destina même dans un premier temps à la réalisation de films militants, mais dut très vite se rendre à l'évidence que l'exercice était trop onéreux. Il se dirigea donc vers la critique cinématographique, publiant notamment pour des revues de gauche comme Cineaste ou Jump Cut et, occasionnellement, dans Rolling Stone (notamment pour un article sur les Weathermen filmés par de Antonio). Avec les années 80, Biskind mettra cependant quelque peu en veilleuse son enthousiasme politique pour prendre la direction du magazine Premiere auquel il collaborera douze années durant. Ce n'est qu'à partir du moment où il quitta la célèbre revue people qu'il retrouva pour ainsi dire toute sa liberté et entama la rédaction d'un projet qui le tenait à coeur depuis quelques temps : explorer les dessous rocambolesques du monde du cinéma qu'il connaissait tant.


Mais revenons à mon épisode californien et à Gods and Monsters. J'achète donc ce livre au titre prometteur – sous titré « 30 ans d'articles sur les films et la culture par l'un des auteurs les plus incisifs d'Amérique » – et au prix dérisoire de deux dollars (d'occasion), et là je découvre un ton, un discours et une manière d'aborder le cinéma que j'envie à Biskind mais aussi aux Américains en général. Comment dire… Il n'existait pas à ma connaissance d'équivalent français à ce que j'ai pu lire dans ces pages, comme par exemple cet article intitulé « Machisme et classe ouvrière hollywoodienne » paru en 1980 dans la revue Socialist Review et qui montre comment dans les années 70, des films comme "Le Parrain", "Rocky" ou encore "Saturday Night Fever" ont participé – inconsciemment ? – à la restauration de la virilité mâle malmenée par les luttes des sixties (féministes, noires, gays). Ailleurs l'auteur évoque la « politique du pouvoir dans Sur les quais », le discours idéologique des films de SF des années 50, la vogue douteuse qui accompagna la série "Holocaust", ou encore le discours équivoque d'un film « prolétarien » comme "Blue Collar". Voilà, c'est ça Biskind, un auteur décomplexé pour qui « tout est politique » à commencer par le cinéma, et qui ne se cache pas derrière des considérations ésotériques pour dire toute sa passion des films et nous rappeler constamment que le cinéma c'est la vie. En parcourant ces pages, dont les plus anciennes remontent à 1973, je réalise le fossé qui sépare la critique française de l'américaine et je me dis que, malheureusement, ce livre comme son premier d'ailleurs, intitulé « Voire c'est croire : comment Hollywood nous a dit de ne pas nous faire de soucis et d'aimer les fifties » (paru en 1983) ne sera, à n'en pas douter, jamais traduit en français. Erreur puisque depuis, celui-ci du moins, a été traduit. So enjoy !

RégisDubois
8
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le 15 févr. 2023

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