Desperate Housewife typique, Dorothy est avant tout l’épouse de Fred, soi-disant hyper occupé par ses activités professionnelles. À part ses relations avec son amie Estelle, Dorothy se contente d’une vie sociale très limitée. Peut-elle trouver la force de changer tout cela ? Il faudra un incroyable concours de circonstances pour qu’elle y croie.
À l’occasion, en journée, Dorothy retrouve quelques amies (essentiellement Estelle, femme mariée qui collectionne les amants), ainsi que quelques couples pour des soirées. Les soirées en question se justifient essentiellement par la situation professionnelle de Fred, qui reste d’ailleurs particulièrement vague. C’est tout juste si on sait qu’il travaille dans un bureau. Bref, un col blanc parmi tant d’autres. Dorothy s’occupe aussi de son intérieur. Le meilleur pour elle, c’est peut-être quand M. Mendoza (une sorte de manager) vient lui apprendre à améliorer certains détails domestiques.
Un malaise durable
Il faut dire que Dorothy et Fred ont subi une série de drames personnels, en particulier la mort de leur enfant et l’impossibilité d’en concevoir un autre. Depuis ce malaise durable dans leur couple, ils font chambre à part et cela dure depuis déjà un bout de temps. Par opposition, Estelle l’amie de Dorothy a deux enfants avec lesquels elle a franchement du mal (deux adolescents en crise).
Disparition d’un lézard
Depuis peu, Dorothy a des sensations bizarres, en particulier en écoutant la radio. Parfois les programmes s’interrompent pour délivrer des messages venus on ne sait d’où mais qui apparemment lui sont destinés. Ce qu’elle en retient c’est surtout qu’elle ne doit pas s’inquiéter, car tout va bien se passer. Ce qu’en retient un lecteur (une lectrice), c’est l’absence d’explication qui autorise une lecture en forme de porte de sortie : Dorothy n’est pas trop bien dans sa tête, peut-être fantasme-t-elle. Autre bizarrerie, on annonce dans des flashs d’infos qu’un drame est survenu à l’Institut Jefferson : deux employés ont été massacrés par une sorte de gros lézard, capturé six mois auparavant lors d’une expédition en Amérique du sud. Désigné comme le « Monstre Aquarius », ce gros lézard particulièrement dangereux serait à nouveau dans la nature, quelque part dans la région où habitent Dorothy et Fred.
Y’a pas d’lézard !
Dans la soirée, alors justement que Fred et Dorothy reçoivent, cette dernière va à la cuisine pour récupérer un plat, quand elle a la frayeur de sa vie : un être de très forte stature et à l’allure bizarre se tient là. Mais il se tient dans un coin, plutôt comme si lui-même avait peur. Bien entendu il s’agit du fameux « Monstre Aquarius » et Dorothy l’amadoue avec ce qui peut le nourrir, car il meurt de faim. Il n’est pas particulièrement agressif et le dialogue s’engage. De fil en aiguille, Dorothy la désœuvrée décide de s’occuper de lui et de le cacher dans la chambre d’amis. Ce qui ne sera pas bien difficile, car Fred n’est que rarement là et il ne fait guère attention à ce qui se passe à la maison.
Tentative d’intégration
Dans ce court roman (138 pages dans l’édition 10/18) paru en 1982 mais encore méconnu chez nous, Rachel Ingalls surprend de bout en bout. D’une plume alerte et incisive, elle dresse un portrait particulièrement acide de la société américaine de l’époque, qui tient sur beaucoup d’hypocrisie et fait des épouses des sortes d’esclaves à domicile. Ensuite, elle confronte cette société et ses personnages à des péripéties où la science-fiction et le fantastique lui autorisent l’inimaginable. En effet le « monstre Aquarius » n’est pas vraiment le gros lézard annoncé, mais un extra-terrestre arrivé sur Terre de manière accidentelle (les circonstances resteront floues). À part sa très forte stature et sa taille qui sortent de l’ordinaire, grâce à quelques subterfuges il peut passer pour un homme particulièrement grand, tant qu’il reste discret.
De bizarrerie en bizarrerie
Sur cette base, la narration explore la relation qui se noue entre Dorothy et celui qu’elle décide d’appeler Larry. Dorothy découvre que la vie peut finalement lui apporter d’énormes satisfactions auxquelles elle ne croyait plus du tout. Bien entendu, cela s’accompagne de pas mal d’angoisses, car elle transgresse quasiment tout ce en quoi elle voulait encore croire. Dans le même temps, Larry découvre un monde très surprenant qu’il compare au sien. C’est la différence de Larry qui le confronte à des situations si pénibles qu’elles l’obligent à des réactions allant de la fuite à la défense, celle-ci se transformant régulièrement en attaque foudroyante. À ces occasions, Larry cause des dégâts qui ne font que renforcer sa réputation de « Monstre Aquarius ». Vu comme un danger public qu’il faut absolument mettre hors d’état de nuire, Larry réalise que ce qu’il a subi à l’Institut Jefferson n’était qu’un avant-goût de ce qui l’attend si on le coince à nouveau. Bien évidemment, les événements ne font qu’aggraver la situation et tout cela ne peut que mal finir. Ce sera le cas pour quasiment tous les protagonistes de cette histoire édifiante, où la sensibilité se heurte régulièrement à la dure réalité des faits. La concision de ce roman en fait donc une œuvre marquante, car Rachel Ingalls se déchaîne pour imbriquer intelligemment sa description d’une société plutôt rigide avec l’irruption en son sein d’un être qui n’en connaît pas les codes. Le parcours de Larry apporte quelques inestimables grammes de finesse dans un monde de brutes.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné