Petit essai, à la fois court et dense, Mythes et mythologies politiques est une bonne introduction à la réfléchir les mythes d'une société dans leurs aspects sociaux et psychologiques tant collectifs qu'individuels. Souhaitant s'affranchir du cadre traditionnel des histoires des idées superposant les portraits de penseurs d'époques successives, Girardet se livre ici à une histoire des mythes qui façonnent les pensées, entre histoire des mentalités et psychologie sociale. Vaste sujet qui auteur prend le parti de se concentrer sur quatre mythes, qui ont résonné dans la France des XIXe et XXe siècles.
Le livre s'articule donc autour de quatre thèmes :
- le mythe du complot
- le mythe du sauveur
- le mythe de l'âge d'or
- le mythe de l'unité
A chaque fois, Girardet illustre à quel point les imageries d'Epinal, par-delà les différences de but politique visé ou de doctrines professées, se retrouvent. Le mythe de l'unité, louée par Michelet, De Maistre ou Fourier (il est vrai contre le positionnement libéral de Franklin qui fait l'éloge de la diversité) et la recherche d'un outil permettant sa restauration.
Le mythe de l'âge d'or loué par Péguy (renouer avec le village bucolique) Rousseau (renouer avec le temps d'avant la civilisation) et Saint Just (renouer avec les Romains) et ses images de pureté originelle partagées.
Le mythe du complot, tapis dans l'ombre que son auteur supposé soit le juif, le franc-maçon ou le jésuite, avec ses personnages obscurs, ses rituels initiatiques et la crainte de la corruption charnelle et morale.
Le mythe du sauveur, qui rallie toujours les mêmes figures, qu'il s'agisse de l'homme d'expérience revenant sauver sa patrie (Cincinattus), du conquérant jeune et irrésistible (Alexandre), du sage législateur posant le socle de la cité pour les générations à venir (Solon) ou du prophète visionnaire de l'avenir auquel il prépare son peuple (Moïse) et qui fut appliqué à Napoléon, de Gaulle, Petain... et même à Gaston Doumergue ou Antoine Pinay, Cincinnatus de nos Républiques passées, et dont l'effervescence qu'accompagna en France leurs retours aux affaires (en 1934 et 1952) est aujourd'hui aussi oubliée que leurs noms et leurs principales réalisations.
Si on n'est pas obligé à la fin, d'adhérer entièrement à cette idée d'un inconscient social qui viendrait déterminer la pensée idéologique au point de rendre assez peu différents, à la reflexion, les aspirations d'apparence contradictoires, il reste en revanche une sensation de pertinence encore actuelle de ces quatre grands thèmes soulevé par Girardet pour comprendre notre pensée collective.
A l'heure des Qanon dénonçant des complots imaginaires, de la nostalgie de la France des Trente Glorieuses, de la Recherche du sauveur à chaque présidentielle, et de l'éloge permanent de l'unité dans une France où l'on ne se parlerait supposément plus, les mythes décrits par Girardet restent plus que jamais d'une brûlante actualité, trente après.
Une belle réussite.