De juillet 1976, torride, à décembre 99, tempétueux, Nature humaine évoque plus de 20 ans d'Histoire, française et mondiale (Tchernobyl, fin de l'URSS, Mitterrand, Erika, etc.). Cela, c'est la toile de fond du roman de Serge Joncour mais son cœur est rural, le récit se déroulant dans un coin perdu du Lot qui, pour être isolé, n'en est pas moins sujet à bouleversements, avec la diversification des campagnes, l'arrivée de technologies et d'infrastructures nouvelles, les enjeux d'un commerce mondialisé ... Alexandre, le petit paysan du livre, subit bon gré mal gré toutes les mutations mais avec le désir viscéral de rester à la terre et auprès de ses vaches. Ce n'est pas le dernier des Mohicans mais presque et il n'aura pas d'autre choix que de faire des concessions pour survivre. Nature humaine est d'un classicisme absolu dans sa narration et c'est ce qui en fait sa valeur. Pas de déconstruction à l'horizon, le roman suit une ligne chronologique claire, avec plusieurs arrêts sur image en 1999 (pour le suspense), ménageant de belles ellipses qui nous font cheminer auprès d'Alexandre, sa famille, un voisin gratiné et divers jeunes gens révoltés. S'il est vrai que Nature humaine est un hymne à la terre, un hommage aux agriculteurs et un constat sans concession des radicaux changements de mode de vie de ces dernières années, qui préfigurent des catastrophes à venir, le livre raconte aussi une superbe histoire d'amour, de celles qui auraient pu être et ne sont pas ou plutôt pas tout à fait. Cette intrigue, romantique en diable, n'est pas le moindre atout d'un roman qui cherche à montrer plus qu'à démontrer la stupidité collective des hommes qui ne jurent que par le progrès, fût-il toxique, en oubliant de regarder le cours des rivières et de sentir l'odeur de la menthe dans les champs. Avec son côté naturaliste et son amour des histoires fortes et intimes, imbriquées dans l'évolution sociale, Joncour est le digne héritier des grands romanciers français du XIXe siècle.