Recueil de deux longues nouvelles, New York Adrénaline se complète de Yellow Katmandou, et leur auteur nous y promène au ras du sol des contrées visitées, sac sur le dos contenant les affres, les difficultés et l'inattendu de ces 


voyages à la rencontre du monde.



Pierre Dupont-Tavarel y dépeint tour à tour l'humanité happée par le mouvement, écrasé sous l'immensité, et la conscience prise entre deux feux, prête à tout pour s'inventer un avenir qui saurait correspondre à nos exigences quoi qu'il en coûte. Et la réalité, simple. Inévitable. Qui toujours rattrape les desseins.


New York Adrénaline, c'est un ancien coursier cycliste qui revient errer les avenues de la métropole après la chute des tours, à la recherche d'un ancien collègue, et qui nous raconte autant la ville meurtrie d'aujourd'hui – qui pourtant continue de battre – que celle d'hier, portée par une confiance aveugle et presque irresponsable. Irresponsable et inconsciente comme le sont justement ces coursiers de l'extrême qui naviguent à pleine vitesse entre les flots automobiles et les piétons qui deviennent là d'insaisissables obstacles.


 Le « zéro » a pour fonction de quantifier ce qui n'existe pas. Il
exprime l'absence de quelque chose. New York, 25 décembre 2003 :
au-dessus de Ground Zero se dresse une colonne d'espace autrefois
occupé par les deux tours du World Trade Center. L'espace est vacant
mais pas vide pour autant ; il est hanté par les fantômes. 



L'auteur fait l'échelle de l'homme et de son environnement. Cherche à savoir en quelle proportion il l'habite. Toute l'aventure est ponctuée d'échappées où les personnages, irrémédiablement, sont entraînés dans cet univers de béton. Là ne reste presque rien de naturel tant l'homme a partout imprimé sa marque, transformant 


le paysage à l'image de ses ambitions démesurées.



Seul le ciel éclaire encore.



 je suis saisi d'un effroi respectueux devant cette quintessence
citadine dont le gigantisme jette la lumière sur ma réelle dimension :
poussière humaine dans un écrin fascinant de béton, de pierres polies,
de vitres et de métal, une composition de verre et de lumière. 



et


 Je lève les yeux pour regarder le ciel, un ciel sans tache et
cristallin, dispensant sa lumière sur le site endeuillé comme pour y
souligner le contraste entre la pureté de l'univers et la perversité
de l'humanité. 



Les mots de Pierre Dupont-Tavarel touchent juste, l'immersion est évocatrice, entraînante comme un tourbillon, et comme le personnage en sa quête hasardeuse, le lecteur est frappé de la frénésie incessante qui rythme les paysages, comme si la vie là ne savait s'arrêter, pas même le temps d'un cliché, d'une photographie que l'on chercherait juste mais qui toujours s'échappe de trop nombreux éléments fugitifs.


 J'avais oublié à quel point New York bourdonne d'énergie fiévreuse
et communicative, presque lyrique, une énergie qui peut vous encenser
ou vous réduire en miette selon votre degré de résistance, mais à
laquelle il est exclu de se soustraire. 



Avec Yellow Katmandou, même si l'empreinte et l'emprise des paysages sur l'homme, est toujours fortement présente – une Asie moite et suintante de misère, de débrouille, de secrets et d'interdits :


 Chunking Mansion n'était pas seulement l'endroit idéal pour se
cacher, c'était aussi le conservatoire de la combine en tout genre, ue
sorte de Wall Street ou se cotait le cours de la magouille. 



– ce sont bien les errances intérieures qu'ausculte l'auteur quand il nous confie ses efforts de voyageur désargenté pour gérer l'indispensable avortement de cette femme qu'il a mise enceinte, avec qui il espérait avoir abandonné les liens. Rattrapé



son désir de rester sans attache, libre.



La soumission qu'il cherche alors.



 Horreur, malheur, calamité ! Impression humiliante d'être victime
d'une sodomie de luxe. Le sacrifice d'un or analement transmissible.
(...) Ma dignité, je l'avais perdue – si j'en avais jamais eu une.
C'était juste bon pour les riches, pour les nantis de l'amour. Rien à
voir avec moi. 



Dans le même temps, sous l'angoisse, Pierre Dupont-Tavarel rappelle les paradoxes du voyageur, désireux de rester en sécurité autant que possible, comme n'importe qui, et pourtant appelé par l'aventure, l'inconnu, et de fait le danger. Il se définit alors à part, souligne une part d'humanité négligée par les sociétés de consommations qui voudraient que chacun reste à son poste huit heures par jour et se rue dans les magasins dès la sortie de l'usine avant de rentrer se terrer jusqu'au lendemain en ses illusions de confort.


 Et pourtant, je ressens une grande excitation à la perspective de
mon aventure. Bien sûr, risquer plusieurs années de prison contre une
commission aussi dérisoire n'a aucun sens, mais le voyageur n'est pas
un être rationnel, encore moins raisonnable. La logique du routard a
peu de choses en commun avec celle du sédentaire. Elle ne répond pas à
des critères de comptabilité, de rentabilité ou de pragmatisme. 



Malgré tout, l'auteur accepte au final de n'être qu'un homme parmi les autres, individu dans un ensemble qui le chahute et que lui bouleverse de ses passages. Nous raconte qu'on a beau s'enfuir en une tour d'ivoire de l'éternel marche vers l'inconnu, on n'y fait rien d'autre que de nouvelles rencontres, on n'y tisse rien d'autre que de nouveaux liens, 


continuant de s'enrichir de l'autre autant que de s'y heurter.




 Je scrutais son visage mais elle avait détourné la tête, fixant le
mur opposé. Au fond, je savais ce qu'elle souhaitait entendre, sans
oser me le demander. J'ai continué à la fixer un moment. Encore une
pauvre fille qui aurait mieux fait de ne jamais me rencontrer, j'ai
songé. Comme toutes les autres victimes de ma vie. 



Qu'il est illusoire de tenter de s'isoler puisque nous ne sommes qu'un animal social.


 On ne grave pas de cicatrices sur le cœur des autres sans que la
lame ne dérape sur votre propre conscience. Repenser à Ethel me fait
un mal fou, comme tirer sur des pans de peaux pour rouvrir une
plaie. 



Court bouquin intense et vivant, New York Adrénaline ne manque certes pas de frissons et d'excitations. Mais dessous le voyage et la découverte, les visions d'ailleurs qui sont l'essence du dépaysement recherché autant par le voyageur que par le lecteur, Pierre Dupont-Tavarel décrit avec acuité les angoisses et les questions de l'homme aux prises avec l'absence, avec la distance, avec les responsabilités, avec la liberté. Les deux textes qui composent le volume sont précieux alors de ce qui fait écho à nos quotidiens, à nos propres deuils, et nous rappellent sans équivoque qu'on a beau s'imprégner de multiples cultures, évoluer dans d'aussi différents environnements, nous sommes finalement tous frères dans 


les méandres intérieurs de nos consciences, de nos désirs et de nos quêtes autant que de nos fuites.



Prisonniers de nos propres paradoxes et de ces contradictions que nous ne savons habiter tant elles nous rongent.

Créée

le 18 févr. 2019

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