"Dédié à tous les mangeurs de viande, des plus grands carnassiers aux carnivores occasionnels."
La première fois que l'on m'a parlé de ce livre, de manière assez élogieuse -"c'est génial, ça m’a changé la vie !’’- je n'étais pas franchement emballée. No steak. Le titre ne me disait rien qui vaille, j'y voyais déjà là le fervent défenseur de la cause animalière s’apprêtant à nous étaler de long en large son beau discours militant. Puis, lors d'un passage en librairie, je suis tombée dessus, j'ai rapidement lu le quatrième de couverture et je me suis dit pourquoi pas, d'autant plus que j'étais tout de même assez curieuse de voir ce dont ce bobo d'Aymeric Caron était capable en matière d’écriture. Sur ce point là ce fut sans grande surprise, autant être tout de suite averti, le soin de la forme n'est absolument pas le but de ce livre, on le comprend dès les premières lignes (ce qui peut être assez rebutant) car finalement tout tient dans l'argumentation et le fourmillement d'informations utiles.
Je pensais donc que c'était "juste" un livre écrit par un végétarien pour les végétariens, ou, au pire, un moyen d'essayer de faire changer de bord alimentaire (parfaitement) les carnivores les plus faibles d'entre nous. Mais que nenni. Caron ne se pose pas la question de savoir quel est le régime alimentaire de son lecteur, ce qu'il veut lui montrer et expliquer avant tout, c'est la position dans laquelle il se trouve aujourd’hui et tout le processus qui l’y a conduit : dans une société où manger de la viande est un acte quotidien, normal, voire obligatoire et irréfutable d'après certains. Pour cela il pose et répond à toute une série d'interrogations aussi surprenantes qu'intelligentes, pour lesquelles il a effectué un travail de recherche conséquent : pourquoi raffolons nous du bœuf et pas du rat ? Pourquoi l'homme ne culpabilise-t-il pas quand il mange du porc alors que l'idée de goûter à du chat lui semble inimaginable ? Qu'elle a été l'évolution depuis les Australopithèques végétariens jusqu'à nous, aujourd'hui, qui pensons que la consommation de viande est innée chez l'Homme ? Et encore tant de questions fondamentales pour tenter de comprendre l'histoire de nos habitudes alimentaires.
Si j'ai finalement apprécié ce livre, c'est parce qu'il est surprenant dans le sens où il regorge d'arguments, d'anecdotes, d'explications souvent bien approfondies. L'auteur ne se contente pas de rester en surface et de poser simplement les débats stériles habituels pour tenter d'expliquer si oui ou non les végétariens sont de meilleures personnes que ceux qui dévorent des poulets. Il se pousse lui-même dans ses retranchements et exposent les contradictions et les incohérences auxquelles nous nous heurtons tous forcément : entre les végétariens/végétaliens qui s'octroient des légères exceptions, ceux qui dérogent à leurs convictions sans même le savoir, les mangeurs de viande pourtant défenseurs de certaines causes animalières, ceux qui ont conscience de ne pas manger forcément de bonnes choses mais qui n'ont pas la volonté et/ou les moyens nécessaires pour changer leurs habitudes, etc. Il évoque également les préjugés et clichés autour du végétarisme, sa lente et difficile intégration dans la politique française comparé à certains pays étrangers, mais aussi la question du tabou autour des abattoirs. Ce livre est bourré d'informations et d'exemples qui s'appuient aussi sur des paroles et idées de grands intellectuels et hommes de lettres qui avaient déjà évoqué et développé à leur manière la pensée d'un idéal végétarien : Pythagore, Montaigne, Rousseau, Schopenhauer, Victor Hugo, Tolstoï, Nietzsche, Albert Schweitzer et aussi Kundera, Tom Regan...
C'est donc un ouvrage très argumentatif et donc passionnant que nous livre ici Aymeric Caron, et ce fut une réelle surprise pour ma part. À titre personnel, ce livre m'a grandement éclairée sur certains sujets, il m'a permis de faire un pas de plus vers une idée qui a germé en moi il y a peu de temps mais qui n'était pas encore assez claire. Alors pas de doute c'est un bouquin convainquant, mais aussi réaliste : la conclusion n'est pas "soyons tous végétariens, c'est génial et facile, la viande c'est le mal !", il souligne des contraintes, pointe du doigt des vrais problèmes, mais dirige tout de même notre pensée vers une idée de progression. Ce n'est ni idéaliste, ni fataliste, l'auteur ne fait pas la morale, il reste lucide et son livre est instructif, intéressant pour n'importe quel lecteur, quel que soit son régime alimentaire et le regard qu'il porte sur la planète.