Publié sous un pseudonyme, ce roman se pare d’un voile de mystère qui lui va bien (cela dit, une simple recherche sur Google peut rapidement nous apprendre qu’il s’agit en fait d’Erwan Le Morhedec, un individu engagé en compagnie de qui j’ai peu de chances de battre le pavé…). Premier tome d’une série dont l’ambition est d’aborder les grandes menaces contemporaines avec les codes du polar, je ne peux que saluer cette démarche qui m’a conduit également à écrire mes deux derniers livres (Implantés et Couru d’avance), et surtout commencer à me dire que nous assistons peut-être à la naissance d’un sous-genre. Vous trouvez que j’exagère ? Je ne le pense pas, et ceci pour une raison évidente : cette dernière année, nous venons d’être projetés dans un monde qui n’était envisagé jusque-là que dans des récits d’anticipation ou de science-fiction. Mais la pandémie nous a submergés et à présent l’impossible appartient à notre quotidien, au même titre que le réchauffement climatique, les fragilités de la démocratie, la montée de l’autorité, la collapsologie, l’effondrement de la biodiversité et j’en passe. Dans ces conditions, la littérature noire et policière, si pertinente dans l’exploration des franges d’une société, me semble tout à fait légitime pour à la fois labourer ces sujets et en tirer les fils jusqu’à la nausée, à la fois pour susciter des débats, participer à l’éveil des consciences (mais peut-être est-ce trop ambitieux ?), comme dans le simple souci de décrire notre condition humaine au sein de cette nouvelle réalité, celle que nous devons maintenant nous coltiner la peur au ventre. Voilà pourquoi je n’ai pas trop traîné à lire ce roman quand j’ai appris son existence. Mon verdict ? J’ai été globalement convaincu avec néanmoins quelques réserves.
Les plus ? D’abord l’entame et son climat anxiogène. La destruction d’une série de transformateurs plonge la région parisienne dans le noir (d’où le titre…). Très vite, ce black-out souligne la fragilité de notre société. Privée d’électricité, elle vacille et l’on se demande même rapidement si ce coup de maître ne va pas provoquer son effondrement. Les chaînes d’approvisionnements sont perturbées, les réseaux d’information se taisent (dont le plus puissant, Internet), les systèmes de sécurité deviennent inopérants (que ce soient les caméras de surveillance comme les simples alarmes des magasins), les criminels comprennent qu’ils peuvent agir en toute impunité, le chaos s’étend. Cette évolution accompagne en toile de fond le déploiement du scénario, parvenant à bien instiller un climat d’angoisse en augmentation exponentielle. Juste un bémol ici : j’ai trouvé que l’auteur accélérait peut-être un peu trop l’irruption et l’intensité des catastrophes, notamment la violence des scènes de pillage (peut-être dans le souci de s’accorder avec l’ambition du titre de sa série, « Apocalypse » ? D’ailleurs, à la réflexion, cette référence à la Bible me chagrine, même si je comprends son potentiel commercial. De mon côté, je préfère évoquer le temps des effondrements). La crédibilité de l’ensemble aurait été renforcée dans une approche moins abrupte et plus progressive.
Un autre point fort : l’action, le rythme. Ce roman ne m’a jamais ennuyé et je l’ai lu d’une traite. Avec des phrases courtes et percutantes, l’auteur a chassé le superflu pour se concentrer sur l’essentiel, entraîner le lecteur avec lui dans ce qui devient rapidement une course contre la montre. J’ai apprécié cette efficacité, même si le thème « des nouvelles menaces » mériterait, à mon sens, de se poser quelques instants pour méditer, que ce soit dans des dialogues ou certaines pensées des personnages. En ce sens, il est certainement réducteur de l’aborder sous l’angle individuel comme il me semble que c’est le cas ici, en considérant que les méfaits d’un seul criminel, aussi génial soit-il, peuvent provoquer une série d’événements capables de déstabiliser toute une société. Je préfère pour ma part une approche plus globale qui, en partant de la multitude des menaces, tente d’en cerner les causes dans une critique systémique. Je pense que c’est à la fois plus juste, moins manichéen, et que la littérature noire peut également s’emparer de cet objet pour prendre toute sa place dans ce débat si vital.
Qu’en est-il du scénario ? Il m’a plutôt séduit sur le moment même si, avec le recul, des facilités m’apparaissent. Il m’est impossible de les évoquer ici sans risquer de vous dévoiler des parties de l’intrigue, mais je peux déjà dire que cette faiblesse me semble liée à une autre concernant la caractérisation lacunaire de certains personnages et notamment la légèreté des motivations de l’instigateur du black-out. Cela dit, pourquoi pas ? Après tout, la réalité se charge si souvent de nous démontrer sa supériorité sur l’imagination que j’ai peut-être tort de faire ici ce reproche (pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler, entre autres choses, notre sidération devant l’effondrement des tours jumelles ou l’annonce par notre cher président du premier confinement…). Et de toute façon, ce sentiment ne m’a pas trop effleuré pendant la lecture, j’étais trop occupé à tourner les pages pour connaître la suite.
Bon, je dois dire deux mots des personnages avant de conclure. Mes préférés sont les secondaires, même si je me suis quand même attaché au flic Hugo Kezer qui ne lâche rien malgré la vie qui s’amuse à le torturer, tant du point de vue professionnel que familial (un classique qui fonctionne, mais qui peut lasser un peu à la longue, notamment un poil ici, car le destin semble vraiment s’acharner sur lui…). J’inviterais donc sur le podium le bandit boiteux et son fils malade. Leur histoire m’a touché. Je l’ai été moins par la concurrente directe du héros principal qui n’a de cesse de lui mettre des bâtons dans les roues à la fois pour des préoccupations de carrière et se venger d’un drame personnel. Je l’ai trouvée un peu caricaturale, mais peut-être que Koz va l’affiner dans les prochains tomes. Quant aux autres, leurs profils fonctionnent, que ce soient le roi des gitans et sa clique, comme avec « Le hobbit » (le lieutenant de Kezer) et le reste de son équipe, avec la réserve déjà mentionnée concernant les motivations du véritable responsable de tout ce chaos.
En conclusion, je vous invite à lire « Apocalypse – Noir » ne serait-ce que pour découvrir comment un auteur contemporain peut s’emparer des grands enjeux de notre temps, en gardant malgré tout à l’esprit que beaucoup d’autres s’apprêtent à le rejoindre (ou bien est-ce le contraire ? ????).