« Le Jour où Kennedy n’est pas mort » de R. J. Ellory : la chronique d’une mort évitée

Je sors de mon premier roman de R. J. Ellory avec un avis mitigé. Pourtant, l’idée de départ est entraînante : John F. Kennedy étant toujours en vie après la date fatidique du 22 novembre 1963, le jour de son assassinat, ce livre se définit rapidement comme une uchronie et ce mystère suscite d’emblée l’intérêt. On veut comprendre pourquoi un des évènements les plus commentés du XXe siècle ne s’est pas réalisé. À rebours d’une intrigue policière classique, il ne s’agit donc pas de connaître l’identité d’un criminel, mais plutôt les raisons pour lesquelles il n’a pas commis son forfait. En cultivant ce paradoxe, R. J. Ellory opère un renversement vertigineux tout en instillant un niveau de suspense équivalent, voire supérieur, à un scénario convenu. Ce n’était sans doute pas une mince affaire ! Par la même occasion, on saisit la nécessité de cibler un meurtre médiatisé, le dernier assassinat d’un président américain, pour que la magie puisse jouer à plein. En outre, R. J. Ellory en profite pour nous offrir en creux son interprétation de cette tragédie avortée et je me suis replongé dans cette époque avec plaisir. Dans un style agréable et en ayant fourni un important travail de documentation, l’auteur a bien capté son esprit et la reconstitution proposée est crédible tout en tordant la vérité historique : un exploit !


Une autre force de ce roman : son personnage principal. Sa caractérisation aboutie lui permet de prendre de la consistance tout le long du récit, d’autant plus que son cheminement entre en résonnance avec celui du monde : Mitch Newman est un photographe de presse raté et alcoolique qui n’a pas digéré son engagement au sein des troupes américaines pendant la guerre de Corée. Se rêvant en nouveau Robert Capa, ce choix s’est finalement révélé néfaste à la fois en brisant son couple et ses rêves de reconnaissance. Le malheureux en est revenu traumatisé et ne s’en est jamais vraiment remis. L’histoire commence dix ans après, quand il apprend le suicide de son ancienne fiancée, une journaliste établie. N’ayant jamais vraiment réussi à faire le deuil de cette relation, cette disparition lui enlève définitivement la possibilité de renouer avec elle. Il ne l’accepte pas, tout comme il refuse de croire que cette jeune femme pleine de vie puisse avoir décidé d’attenter à ces jours. Le voilà donc en train de fureter dans ses affaires pour comprendre les raisons de ce drame et son enquête le conduira à reconstituer son emploi du temps. Je vous laisse le soin de découvrir la suite, mais j’aime bien l’idée qu’un personnage accablé par un seul mauvais choix puisse relever la tête en bataillant contre un monde qui n’aurait jamais dû advenir, juste par respect pour celle dont il était épris. C’est sa façon à lui de se racheter et, c’est cool, elle va nous permettre d’expliquer ce « bug » historique.


À côté de lui, R. J. Ellory convoque des figures réelles comme les frères Kennedy ou encore d’autres qui ont joué un rôle dans l’attentat de Dallas (qui, je le répète, n’a pas eu lieu dans ce livre). J’ai particulièrement apprécié la manière dont l’auteur sabre le mythe en exhibant les faiblesses du président, ses affections et ses addictions. Dépassé, consumé par sa charge, Jack ne fait pas le poids face à la détermination et à l’intelligence de Robert, son cadet, et l’on peut légitimement se questionner sur les raisons de ce bégaiement de l’histoire, cette fois authentique, qui a placé aux plus hautes fonctions le moins capable des deux. J’ai bien aimé aussi Jacky, « la première dame » et surtout les scènes où elle dialogue avec Robert. Bien entendu, nous croisons ou suivons à la trace d’autres protagonistes comme Ruby ou Oswald, tous très crédibles.


Mon sentiment mitigé s’explique surtout par la chute, mais il était certainement difficile de retomber sur ses pieds après avoir ouvert un si grand nombre de portes. À la fin, je me suis dit : tout ça pour ça ? D’autant plus qu’en nous éclairant sur les raisons du « bug » (que je me garderai bien de vous révéler ici), l’auteur ne peut qu’occulter les véritables causes de l’évènement évité. En outre, les résultats de l’investigation sur l’intrigue ne concernant que la partie uchronie me semblent également très légers. En conclusion, ce livre ne m’apparaît donc que comme une simple figure de style, certes distrayante et maîtrisée, mais aussi un peu frustrante. Sur le même sujet, j’ai beaucoup plus apprécié « 22/11/63 » de Stephen King que je conseille vivement aux amateurs de fantastique, roman noir et littérature historique.

StéphaneFurlan
7
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le 8 sept. 2021

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