Rosemary, étudiante, n'arrive pas à se faire des amis et semble bien à part. Oui, elle partage sa chambre avec une colocataire, rentre pour les fêtes chez ses parents et a même une vie sexuelle. Mais dans tous ce qu'elle nous décrit, il s'agit plutôt de solitude et de malaise. Et puis cela fait des années qu'elle n'a pas eu de nouvelles de son frère Lowell et de sa sœur Fern. Pourtant la fraternité semble avoir beaucoup d'importance chez elle.
Elle rencontre alors Harlow, une jeune fille agitée, dans la cafétéria: cette dernière fait une crise bien théâtrale à son compagnon, elle jette son plateau sur le sol et hurle. Rosemary, hébétée mais presque sereine, laisse tomber aussi le sien. La voilà embarquée avec l'autre jeune fille au poste de police. Perturbée par une Harlow sans gêne, borderline et affective, la jeune femme est poussée dans ses retranchements et découvre qu'elle y retrouve un peu de sa relation à sa grande sœur.
Elle est loquace, Rosemary, pourtant ses parents l'ont mises en garde contre son bavardage... enfant, elle ne devait dire qu'une chose sur les trois qu'elle avait en tête ou commencer son histoire par le milieu. Il en est de même de son récit. Elle se l'offre (nous l'offre) par le milieu et revient peu à peu au début.
Elle dévoile les déménagements, les fuites du frère, la disparition de la sœur. Mais surtout les moments avant, d'intense bonheur, d'escapade, de caprices et de frustration. Une joie à être, surtout avec Fern. Enfant, elle est passionnée, agitée, très vite frustrée et quelque peu culpabilisée. Puis la fratrie apparait pour marquer le début d'une relativisation du propos. Rosemary jeune adulte reconstruit son passé dans un foyer américain pas si normal.
La fougue de l'enfance et les malaises adolescents prennent ici une ampleur inégalée. Ils sont décryptés, cette fois-ci par la jeune femme elle-même. Elle se décrit, avance à petits pas de ce puzzle de compréhension pour toucher la part de regrets, de culpabilité et d'amour infini pour son frère et surtout sa sœur.
Elle avance et recule dans sa quête de son frère et de sa soeur. Elle n'est plus la même, elle n'est plus qu'une moitié et pourtant sa vie va peut-être devenir entièrement pour elle, sans cette ombre. Elle se cherche en même temps elle dévoile les avancées psychologiques qui peuvent expliquer un peu les choses. Son père, scientifique, était très au fait des expérimentations animales. Le rapport de l'homme et des animaux, la distinction de comportement et de développement des uns et des autres ne semblaient plus avoir de secret pour lui. Elle va enfin comprendre qui elle est.
Karen Joy FOWLER offre avec "Les années sauvages" un roman bien mené avec même une source d'engagement.