Sombre, trash et profondément humain, ce recueil de nouvelles de Laura Hird publié en 2006, après deux précédents romans, contient une novella de quatre-vingt pages («Hope») et dix courtes nouvelles. Dans Édimbourg et ses faubourgs, ces histoires mettent en scène des individus aux marges, souvent pitoyables et déjantés, à l’image de Martin dans «Hope», libraire homosexuel qui passe l’essentiel de sa vie à boire et fumer des joints, et qui au départ appelle les urgences après une soi-disant tentative de suicide au paracétamol, avant de s’enfuir en cavalant de l’hôpital pour rejoindre une soirée voisine.

«Je m’envoie d’un trait un demi-verre de rouge et me roule un pétard avant de penser à regarder qui est là. C’est toujours bondé, ici. Il y a des gens qui viennent une fois, ne supportent pas cette bande de tafioles médisantes et ne reviennent jamais. D’autres passent régulièrement, chaque semaine ou tous les deux-trois jours. D’autres campent, carrément.» (Hope)

Rencontrant la tante d’un ami, riche et excentrique, lors de cette soirée, qui va le loger gracieusement dans son hôtel particulier et faire vaciller ses préférences sexuelles, il croît que la chance tourne en sa faveur. Mais l’espoir chez Laura Hird est souvent un mirage dans ces vies cabossées par la dureté sociale, le manque d’argent et l’excès d’alcool, par les failles ordinaires d’une vie de famille usante, ou par les traumatismes d’une enfance abîmée, la disparition d’un proche ou le temps qui s’écoule.

Comme si elle écrivait sous les influences combinées de Raymond Carver et de Charles Bukowski, et dans la lignée directe d’Irvine Welsh, les nouvelles de Laura Hird sont successivement drôles et poignantes, glauques mais animées d’une énergie de vie féroce, terriblement attachantes.
Une grande claque.

«Je me réveille avec une sensation de froid, de vide, de tête prise dans un étau qui prélude toujours à une journée en famille. Les congés annuels, c’est précieux, et ça me fait chier d’en gaspiller la moindre seconde avec les mômes de mes cousins, mon odieuse tante et les éternelles larmes de ma mère après quelques verres d’asti spumante.
Des relents inhabituels imprègnent le lit. J’ai trop chaud, je roule sur le dos. Ma cuisse effleure quelque chose. Ça grogne ! C’est quelqu’un. Je retire doucement ma jambe et reste figée, essayant de rassembler mes souvenirs. C’est seulement quand j’entends un léger ronflement que j’ose regarder. Ce ne sont pas mes souvenirs nébuleux du pot d’hier soir au bureau qui vont m’aider à supporter cette situation.
Mais c’est qui ça ? Il y a un ado dans mon lit. Un ange puant au visage sale. Je n’ai pas été au lit avec un ado depuis l’époque où le fils du voisin faisait du baby-sitting, quand j’avais neuf ans. C’est quoi ce bordel ?» (La soirée)

«Je déteste tout ça mais c’est bien payé et les pingouins qui transportent les plateaux de champagne sont fort généreux. J’ai déjà pris assez de photos – celles que demande le magazine, ce mélange parfait de boboïsme et d’élitisme. Je préférerais leur tirer le portrait maintenant qu’ils sont cokés à mort, en train de ricaner et de se raconter des conneries, vautrés dans tous les coins, mais on m’a dit de poser mon appareil une fois que ces tableaux de merde auront été dévoilés, car, selon l’artiste, ça ne favorise pas l’établissement des relations.
Si je suis là, c’est parce que Rick, mon ami depuis l’université qui s’occupe généralement de la page mondaine du magazine, est en Somalie pour photographier un chef célèbre, pour un numéro spécial «cuisine africaine» sponsorisé par Sainsbury’s. Mon travail à moi porte généralement sur la misère urbaine – photos dures, monochromes, d’hôpitaux, de malades en phase terminale, de cadavres ; un catalogue de bénéficiaires de la sécu, en somme. Je prépare une grande exposition. Pas deux-trois clichés dans un bistro ou un salon de thé-librairie non, une expo dans un lieu comme celui-ci mais avec de vraies personnes, plutôt que cette bande d’écureuils hystériques. Mon but est de devenir LE photographe du prolétariat britannique» (Droit devant, n’importe où)
MarianneL
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le 2 mai 2014

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