Arbalètes, magie et espionnage
Dans le vaste domaine de l’uchronie, il y a une place spéciale pour celles qui nous proposent de revisiter notre histoire par l’ajout d’un élément fantastique. Opération Sabine appartient entièrement...
le 16 mars 2021
Dans le vaste domaine de l’uchronie, il y a une place spéciale pour celles qui nous proposent de revisiter notre histoire par l’ajout d’un élément fantastique. Opération Sabine appartient entièrement à ce registre, nous offrant de découvrir un monde mêlant toutes sortes de mythologie. Dans cet Univers, les druides remplace le clergé anglican, des drogues permettent de voyager dans le monde des morts et la magie s’apprend à l’Université. Et c’est là que je trouve le premier défaut du roman : l’univers est vaste, dense... et finalement peu détaillé. Il y a quelque chose de frustrants, car l’auteur multiplie les références, parfois savoureuses, mais reste finalement en surface. En outre cela donne un aspect très obscure au scénario, rendant parfois difficile de savoir où il va, tant les informations nous sont disséminées au fur et à mesure. Il en ressort un sentiment que l’auteur fait évoluer l’univers et ses règles en fonction de ses besoins sur le plan scénaristique.
L’histoire en ressort affaibli, ce qui n’est pas aidé par la multitude des tons. On retrouve du roman d’espionnage, du roman d’aventure, du fantastique-onirique et d’autres. Alors en soit ce n’est pas un problème, surtout lorsque les personnages voyagent autant, mais avec le problème de construction d’univers déjà évoqué, il en ressort le sentiment d’assister à plusieurs histoires, plus ou moins bien accolées entre elles. Et ce sentiment n’est que renforcé par la relative apathie des personnages principaux.
Julius Khool, narrateur et personnage central, est en soit un bon personnage. Sur le papier, le coup de l’ancien soldat en reconversion civil est un classique, et qui peut donner d’excellent résultats. Reste que par son caractère blasé, taciturne et poète (oui oui), Julius subit l’action plus qu’il n’en est le moteur, au point que l’auteur ne s’embarrasse pas à lui donner des motivations claires. Et ses errances psychologiques, si elles nous permettent d’en savoir plus sur l’univers, cassent beaucoup le rythme et la tension du récit. Bref, elles ajoutent une dose de poésie, au détriment de la narration pure. Il reste toutefois un personnage plus proactif que Caroll Mac Mael Muad, son employeur.
Jeune mage désœuvré, ce dernier a au moins le mérite de posséder une véritable motivation, mais pour le reste il subit l’action plus qu’aucun autre, se contentant de suivre les évènements d’un point A à un point B, au point que le lecteur (comme les personnages) en oublie régulièrement sa présence.
Pour le reste des personnages, je me limiterai à dire que l’écrasante majorité ne va pas au delà de leur fonction dans le récit. Notons toutefois un traitement particulier des personnages féminins, qui semblent surtout servir à révéler être des créatures surnaturelles.
Et puisqu’on parle du surnaturel, son traitement est lui aussi particulier. On peut apprécier le traitement banal et quotidien qui en ai fait. Toutefois les règles de l’univers étant floues, on se contente de se laisser porter, sans savoir ce qui est possible et ce qui ne l’est pas, sans comprendre les évènements qui se produisent.
En fait ça restera le principale problème du livre. Qu’il s’agisse du contexte géopolitique ou du fantastique, rien n’est réellement détaillé. On suit le récit, on croit les personnages sur parole au sujet de ce qu’ils nous racontent, mais tout reste trop superficiel et flou pour que le lecteur ne soit réellement prit par le récit. Au final on ne retient pas grand chose de cet univers et on manque d’attache émotionnelle avec les personnages. Pire on nage dans une découverte constante, nous privant de nos références. Par exemple, l’histoire se déroule dans les années trente, mais sur le plan militaire on se bat toujours à l’épée, la lance et l’arbalète. La magie existe, mais à l’Europe continentale a connu un phénomène qui l’a quasiment banni. Et surtout l’Empire Romain Germanique. On connais mal son origine, ses dimensions. Il semble être un croisement entre le Troisième Reich et l’Empire romain (je veut dire on nous parle bien de la République Romaine de Weimar, récemment remplacé par ce « Nouvel Empire »), mais son histoire exacte est un mystère. Ce n’est pas aidé par l’absence quasiment total de détails sur la géopolitique. Les relations internationales semblent se limiter au Royaume-Uni et à l’Empire Romain, et si d’autres pays existent, ils ne seront jamais rien d’autre que mentionnés de façon lointaine et floue. Le problème étant que, dans un roman d’espionnage, cela rend les enjeux, et bien lointains et flous justement.
Alors j’ai peut-être l’air très dur avec le livre. Le style, s’il est parfois irrégulier, à plusieurs excellents fulgurances. Les dialogues sont généralement savoureux, et Nicolas Texier a un vrai talent pour créer les ambiances et les environnements. Mais il avait peut-être envie de mettre trop de choses dans son roman. Dans ce cas, moins aurait probablement été mieux.
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le 16 mars 2021
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