« Depuis que les Dacs ont envahi la Terre, il est dangereux de sortir de chez soi. Même pour se promener sur son balcon. Ils ont, en effet, la fâcheuse habitude de se livrer à la chasse à l'humain. Mais aussi, pourquoi quitter son appartement électronique, super-automatisé, branché sur le monde entier à travers tous les réseaux informatiques et alimenté à domicile par transmateur, une espèce de vire-matière ? »
Évidemment, quand on lit un tel quatrième de couverture entre deux confinements chez un bouquiniste, ça titille. Publié en 1983, on a beau se dire objectivement que ce roman constitue une science-fiction trop datée, laquelle on a tendance à trop projeter sur notre situation actuelle. Mais la curiosité aura eu raison de tout cela. La préface admet elle-même que ce roman de Kevin O’Donnell pourrait faire rire trois, quatre ou cinq décennies plus tard.
Faux.
Mon premier feuilletage m’a finalement fait dévorer un quart du roman dans l’heure qui suivait : Tout de go, il faut le dire, l’anticipation vise dans le mille presque à chaque fois sur les innovations qui allaient venir dans le prochain demi-siècle. C’en est même troublant…
L’auteur anticipe franchement le sensationnalisme des médias (dynamique déjà poussée dans les années 1980 aux États-Unis) mais surtout l’invasion d’internet dans toutes les strates de la vie sociale et économique. On y apprends que le transmateur, sorte d’Amazon dans le principe est constamment critiqué par les clients pour un retard de onze secondes pour une commande en nécessitant seulement quarante-cinq (toujours en secondes!). Le toujours plus toujours tout de suite est alors déjà épinglé. L’auteur continue d’énumérer les futures tares d’une société cocoonée mais aussi surveillée qu’aliénée malgré une démocratie de façade : télétravail ubuesque, transhumanisme, drogues performatives, ce qui sera l’imprimante 3D, et même un site internet où le quidam peut noter, lister et critiquer toute œuvre culturelle à l’instar de… Sens Critique. 1983.
Mais Ora:cle est avant tout un roman au fond politique. Lorsque le protagoniste comprends qu’il est sur la liste noire d’un puissant groupe à but politique, il cherche à démasquer les coupables, renverser le cours des choses et reprendre le cours de sa vie, mais surtout des risques pour sa vie et celle de sa compagne, pour le moins réticente. Le huit-clos science-fictionnel est déjà intéressant puisque l’on ne se cache pas dans un appartement fermé. La question est toute autre. Quel est le sens d’une opposition frontale ? Comment résister lorsque l’on met ses proches en danger au nom du bien commun ? La sécurité de sa famille ou la liberté d’abord ? Et si le nouveau pouvoir sous ses dehors progressistes et courtois n’est-il qu’une autre façade du pouvoir ? Le questionnement sous-jacent est moins naïf qu’il n’y paraît et les échanges houleux au sein du couple renvoient intelligemment à cette problématique.
On regrettera une fin très american happy end achevée en quelques malheureuses pages après un développement cynique sur le pouvoir pourtant très rafraîchissant en prenant brutalement à rebours l’idéalisme de son protagoniste. Malgré tout, une œuvre très agréable à lire et formellement réussie qui ne prends pas son lecteur pour un imbécile, amenant chaque postulat du départ jusqu’à un développement intelligent.