Outback
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Outback

livre de Kenneth Cook (1962)


« Johnson n’avait probablement pas voulu faire le moindre mal au
policier, il avait seulement perdu la tête. Mais le résultat était le
même : il l’avait tué. »



Walter Johnson a changé de statut le soir où, sortant d’une bijouterie qu’il venait de cambrioler, il tue un flic. De petit truand sans envergure, frustre et pas très futé, il devient l’ennemi public numéro 1. Une proie rêvée pour tous les médias en mal de sensations et surtout un criminel à abattre sans sommation. Une chasse à l’homme s’improvise très rapidement pendant que les chaînes de télévision s’empressent de couvrir l’événement, histoire de décrocher le scoop qui fera exploser l’audience. Employé par la chaîne privée B.J.V., Davidson voit immédiatement tout le parti qu’il peut tirer de l’affaire. Le jeune journaliste devient ainsi le point focal d’une course-poursuite dont il ne ressortira pas indemne.


Les habitués du blog yossarian connaissent ma faiblesse coupable pour l’écrivain australien Kenneth Cook. Je renvoie les autres aux chroniques de A coups redoublés et Cinq matins de trop pour combler leurs lacunes. Jadis paru dans la collection « Série Noire » sous le titre Téléviré, Outback bénéficie d’une réédition dotée d’une traduction révisée, même si l’on peut déplorer un titre toujours aussi médiocre, du moins si l’on se fie à l’original Chain of Darkness. Bref, voici l’occasion de découvrir un roman dont le propos sec, un tantinet politique, renvoie immédiatement aux motifs classiques du roman noir. La chasse à l’homme sert en effet surtout de prétexte pour dresser un portrait désabusé des rapports de force prévalant dans le milieu des médias de masse. Immergé au sein de la rédaction d’une télé privée en train de courir le scoop, on se familiarise avec les pratiques journalistiques, perdant peu-à-peu toutes nos illusions sur l’éthique d’une profession encore partagée entre le souci de respectabilité, l’autocensure pour ne pas déplaire à ses actionnaires et l’attrait pour le sensationnel. À bien des égards, Outback relève d’une conception de l’information révolue, où l’on prend garde de ne pas (trop) choquer le téléspectateur, tout en déplorant les pratiques d’une presse décomplexée. Mais, même si le roman a été écrit en 1962, on pressent déjà les prémisses d’une évolution dont on apprécie désormais toute l’ampleur au travers du déploiement émotionnel et putassier des chaînes d’information en continu. Sur ce point, le propos de Kenneth Cook interpelle par son actualité, en dépit de l’aspect suranné de l’équipement des journalistes, à l’heure de l’Internet, du satellite, du numérique et des smartphones. L’auteur australien nous renvoie au discours infantilisant tenu aux téléspectateurs, aux jeux troubles du pouvoir dans les coulisses des médias, à la notion d’indépendance de l’information et à cette volonté forcenée de rechercher l’émotion plutôt que la réflexion. La téléréalité, avec ses stringers branchés en permanence sur la fréquence de la police pour ne pas rater une fusillade ou un flagrant délit, n’est plus très loin. Outback incite aussi à faire son examen de conscience, s’interrogeant sur son propre regard de téléspectateur. En effet, que cherche-t-on exactement à satisfaire en regardant les informations à la télévision ?


Outback apparaît donc comme une réédition bienvenue dont la noirceur intrinsèque n’est pas tempérée par le goût habituel pour l’absurde de Kenneth Cook.



« En fin de compte, qu’est-ce qui rendait le métier de journaliste si
excitant ? Ce n’était rien d’autre, après tout, qu’une espèce de
phénomène social qu’on greffait à chaque activité humaine. Le
reportage de ce soir, qu’avait-il dit de la vérité sur la poursuite de
Johnson ? Avait-il, d’une manière ou d’une autre, expliqué le
personnage de Johnson ? Avait-il fait sentir tout le tragique de la
mort du policier,avait-il apporté quoi que ce soit de valable à qui
que ce soit ? Ou bien, avait-il simplement satisfait la curiosité
morbide d’une société qui s’ennuie tellement qu’il faut lui donner
l’illusion qu’elle vit intensément, lui apporter cette espèce de
surexcitation, cette impression de sensationnel que produit ce que
tout le monde se plaît à appeler les nouvelles ? »



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leleul
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le 22 juin 2020

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