En deux pages, les premières de son roman Persécution, Alessandro Piperno fait un sort à son récit. Tout est y résumé clairement : Léo, médecin réputé, est accusé par une fillette de 12 ans de lui avoir fait des avances, preuves épistolaires à l'appui. La chute commence pour ce grand bourgeois parfaitement intégré à la communauté juive romaine, innocent pourtant, mais incapable de se défendre. C'est la fin d'une existence dorée, ce n'est que le début du livre qui va consciencieusement décrire la déchéance de cet homme en explorant son passé et en détaillant son environnement familial et social. Comme un chirurgien de l'âme, Piperno fouille dans les souvenirs, s'attarde sur de petits détails et des faits anodins, ne laissant rien dans l'ombre pour délivrer le portrait d'un quinquagénaire arrivé, aussi nu qu'à sa naissance. La psychologie, c'est l'affaire de cet écrivain italien qui, dès son premier roman, Avec les pires intentions, a été d'emblée comparé à Proust. Pas pour le style, ses phrases sont plus courtes (!), mais pour cette propension à user de "madeleines" pour composer de longues reconstitutions de scènes où le factuel s'efface devant la description minutieuse de tableaux représentant une société fondée sur les apparences et l'hypocrisie. Persécution est le strict contraire d'un roman policier, aucun suspense, peu de péripéties, une introspection de plus en plus incisive dans les méandres de l'esprit de Léo, symbole des valeurs d'une bourgeoisie coupée des réalités du monde. Le roman est dense, saturé de digressions, il se digère parfois avec difficulté, mais sa suprême ironie et sa puissance d'évocation obligent à ne pas l'abandonner en route. Sans doute est-ce un livre plus impressionnant qu'aimable. C'est là toute sa force et ses limites.