La pin-up n’est pas seulement cette nymphette blonde dévorée du regard par les hommes ou déshabillée par inadvertance à la faveur de gags plus ou moins convenus. Contrairement aux idées reçues, elle tient peut-être davantage de la figure féministe que de la vamp ou de la femme fatale. Mélanie Boissonneau revient sur son destin cinématographique durant le pré-code, mais aussi après 1934.


La période dite « pré-code Hays », s’étendant de 1930 à 1934, fut-elle un réel espace de liberté cinématographique ? Dans quelle mesure la pin-up peut-elle se réclamer du féminisme ? Quelle fut l’évolution de ce personnage féminin controversé à travers le temps ? Quid de ses modes de représentation, d’exploitation et de réception ? L’essayiste Mélanie Boissonneau, titulaire d’un doctorat en études cinématographiques, publie à ce propos, chez Lettmotif, une thèse aussi dense que passionnante. Elle comprend deux parties bien distinctes, mais complémentaires : une longue introduction théorique et historique portant sur la pin-up, le code Hays et le féminisme, suivie d’un effeuillage attentif de plusieurs pin-up du début des années 1930 : Betty Boop, Jean Harlow, Jane Parker ou encore Mae West, auxquelles se mêlent les Scream Queens et les Final Girls des films horrifiques.


Pour identifier et définir la pin-up, Mélanie Boissonneau fait appel à Boris Vian, Bertrand Mary, Mark Gabor, André Bazin ou encore Maria Elena Buszek. Elle prend le parti de situer cette figure ambivalente sur le terrain du féminisme : si l’essayiste Andrea Dworkin estime que la pin-up sexualisée est représentative de la domination masculine, Annie Sprinkle, prostituée, actrice et réalisatrice de films pornographiques, par ailleurs titulaire d’un doctorat en sexualité humaine, avance au contraire un droit absolu d’utiliser son corps et sa sexualité – dans une maîtrise, sinon une réappropriation de soi. Cela constitue un bon point de départ pour mesurer les écarts de jugement dès lors qu’il s’agit d’analyser la place de la pin-up non seulement au cinéma, mais aussi dans la longue histoire de l’émancipation des femmes.


Des Gibson Girls aux Varga Girls, de Betty Boop à Mae West


Aussi incongru que cela puisse paraître, la pin-up peut effectivement s’arroger une part de féminisme politique. Si les Gibson Girls dessinées par l’illustrateur Charles Dana Gibson ne travaillent pas et restent cantonnées aux rôles assignés par la société patriarcale, les Varga Girls d’Alberto Vargas, plus affirmées encore que les Petty Girls, créent déjà le malaise et suscitent des réactions mi-indignées mi-apeurées, notamment en raison d’une sexualité explicite.


Une dualité objet/sujet s’applique par ailleurs au magazine américain Photoplay, qui imprime des photographies d’artistes sexualisées, mais les accompagnent d’interviews et de portraits consacrant, pour les femmes concernées, un statut d’êtres indépendants, pensants et agissants. Cette dichotomie objet/sujet sous-tend en réalité tout l’ouvrage. C’est à son aune que seront étudiées Jane Parker, Mae West ou Jean Harlow.


Avant d’entrer dans le vif du sujet, Mélanie Boissonneau nous rappelle toutefois deux choses. Les années pré-code ne furent pas l’idylle que l’on croit parfois : des négociations horizontales ont lieu au cas par cas entre les créateurs de films et la censure, ce qui aboutit à des compromis et des compromissions. Par ailleurs, dès qu’elle prend conscience d’elle-même et se montre active (dans le sens contraire de passive), la pin-up dérange et lézarde des conventions patriarcales pourtant bien en place.


Betty Boop est un cas intéressant en ce sens qu’elle a aujourd’hui une réputation très exagérée de femme émancipée. Pourtant, comme le rappelle l’auteure, elle relève pleinement de la femme-objet dénuée d’indépendance, dont le corps exerce un important pouvoir de fascination sur les hommes, ce qui occasionnera à son encontre des agressions en tous genres. Après 1934 et le renforcement de la censure sous l’égide de Joseph Breen, la situation empire encore et la vie de Betty semble désormais phagocytée… par un chiot.


Jean Harlow s’en sort à peine mieux. Des « intertextualités » impitoyables contribuent à confondre à son endroit le temps diégétique et biographique. Elle personnifie malgré elle, plus souvent qu’à son tour, la dumb blonde, notamment quand on remet ouvertement en cause ses capacités intellectuelles. Celle qui préfigure Marilyn Monroe joue des rôles où elle manque d’argent, cherche un emploi, fait office d’objet sexuel ou se voit assaillie de mépris. Elle subit une assignation constante aux stéréotypes en vigueur dans les sociétés phallocratiques.


Jane Parker connaît quant à elle deux périodes relativement dissemblables : celle du pré-code, où elle apparaît forte et émancipée (même si l’iconographie publicitaire atténue cette image) ; celle débutant en 1934, après le renforcement des sanctions du code Hays, où la femme de Tarzan se fond dans le rôle traditionnel de la femme au foyer et se voit même éclipsée par son fils Boy. Mae West, affranchie de nombreux carcans (de par son âge, ses rôles, ses dialogues), se voit elle aussi frappée par les difficultés nées de 1934 : son originalité semble de plus en plus menacée, voire moquée.


L’ouvrage de Mélanie Boissonneau a (au moins) un double mérite : il nous éveille à une figure hollywoodienne souvent négligée, la pin-up, et la contextualise sur près de 200 pages aussi passionnantes qu’édifiantes. Car avant d’étudier par le menu les déboires de Betty Boop ou les impétuosités de Mae West, le lecteur passera par Bettie Page, les Guerrilla Girls, le nose art, Simone de Beauvoir, Adah Isaacs Menken, Sarah Bernhardt ou encore Henry James Forman – dont les études scientifiques servirent d’assise au Code Hays.


À mettre entre toutes les mains.


*Critique publiée sur Le Mag du Ciné*

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le 10 avr. 2019

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