Vahé Godel synthétise en quatre-vingt-onze poèmes et quarante-cinq poètes la poésie arménienne du Ve siècle au XXe siècle. Pour ce compte-rendu, quels poètes choisir ? Ceux qui expriment avec le plus de force l'histoire tragique de ce pays soumis aux attaques des Turcs, des Perses, des Byzantins, entre autres...
Au XIIIe siècle, Frik rédige son "Discours" : cinquante-trois quatrains adressés à Dieu sur la violence et les injustices de son temps :
"Dieu de justice et de / miséricorde, il faut / que je te parle. Veuille
écouter ma voix. En / ce monde se produisent / des choses bien étranges
tout ce que l'on peut voir / passe l'imaginable..."
"Or, hélas, / l'heure est aux Infidèles :
des milliers d'entre nous, / capturés, torturés, / nos églises pillées
sur les ruines desquelles / s'élèvent des mosquées...
l'heure est au crime, au sang / à la peur, à la mort..."
"Ô Seigneur, / as-tu voulu cela ?... / des riches qui savourent
leur richesse et des pauvres / qui mâchent leur misère..."
Grégoire de Khlath (XIVe-XVe siècles) évoque les invasions mongoles :
les Tartares "embrochaient les hommes, ils capturaient les femmes ;
ils scalpaient les uns, ils étranglaient les autres ;
ils égorgeaient les uns, leur écorchant le dos
ainsi qu'à des moutons ; ils rôtissaient les autres
dans le feu pétillant, et l'odeur de la chair brûlée
les emplissait tous d'allégresse...
Comment dirai-je les souffrances / de l'Arménie, peuple chrétien ?...
Mes os frémissent, ma vue noircit, mon cœur se brise"
Le temps passe, les calamités se répètent... Au XIXe siècle, Hovhannès Toumanian dédie un "Requiem" aux martyrs arméniens : "Dormez, ô mes gisants...
A quoi bon pleurer, à quoi bon... / quand finiront ces temps barbares ? quand
cessera-t-on de crucifier mon peuple ?"
Au XXe siècle, Eghiché Tcharents est submergé par la mémoire lancinante du pays natal : "Toujours et en tous lieux, je me rappellerai
nos chansons douloureuses, la prière innombrable
que recèlent nos manuscrits, toutes les paroles
qui retentissent dans cette fabuleuse forêt d'onciales
et d'enluminures... le martyr des nôtres me taraude
le cœur... Arménie... Arménie... ô mon amour sanglant, / mon bel amour meurtri !"
Barouïr Sévak contribue au renouveau poétique dans l'Arménie soviétique des années 1960 : "- Où donc périssent les idoles ?
- Sous le poids des louanges, / sous le poids des Cymbales,
sous le poids de l'encens...
- Où donc s'abreuve la puissance de notre esprit ?
- Dans nos blessures / et non point dans nos crânes...
- Où donc se trouve notre salut ?
- Hélas, il n'est pas dans nos mains..."
Je ne dis rien de Sayat-Nova, le plus grand troubadour arménien, car je rendrai compte d'un de ses recueils. Quatre de mes critiques récentes concernent trois grands poètes arméniens, présents dans cette anthologie :
Grégoire de Narek : https://www.senscritique.com/livre/Prieres/critique/228908520 et : https://www.senscritique.com/livre/Odes_et_lamentations/critique/226117581
Nahabed Koutchak : https://www.senscritique.com/livre/Cent_poemes_d_amour_et_d_exil/critique/240525881
Daniel Varoujan : https://www.senscritique.com/livre/Chants_paiens_et_autres_poemes/critique/224311744