Très beau recueil de nouvelles que ce Presqu'îles du médoquin Yan Lespoux.
C'est quelqu'un que l'on connait bien puisqu'il tient le blog Encore du noir, mais le voici qui passe de l'autre côté de la plume, pour la première fois, parrainé par son compatriote Hervé Le Corre.
Un bel essai transformé (on est dans le sud-ouest !) avec ces nouvelles à chute, des textes à l'ironie mordante et caustique.
Derrière l'humour noir et grinçant, jamais gratuit, perce parfois une ombre un peu désespérée : la solitude de chacun des personnages fait partie du paysage tout comme les pins de Napoléon III.
Yan Lespoux nous emmène donc parcourir les dunes de 'son' Médoc, bien loin des châteaux et des vignes, un pays aux hivers froids, humides et pluvieux, un pays de landes, de baïnes et d'étangs où l'on regarde l'étranger franchement de travers.
Mieux vaut être né dans le coin et avec des bottes en caoutchouc si l'on ne veut pas se faire traiter de bordelais, ou pire de toulousain, ou plus infamant encore, de parisien.
Un pays d'anciens naufrageurs, un pays rude et hostile, où l'on a encore le coup de hache facile et le fusil (de chasse !) en bandoulière.
[...] On lui précisera aussi qu’il faut être prudent et éviter de se promener dans les bois, parce qu’il y a beaucoup de chasseurs.
Les quelques trente nouvelles réunies ici sont très courtes, quelques pages à peine, mais elles s'enchaînent avec une remarquable unité de ton et d'ambiance.
L'auteur se paie même le luxe de les présenter par thèmes !
Chacune est l'occasion de partager quelques instants d'un personnage, le plus souvent un gars du coin, plus rarement un bordelais, et dans les traces de l'auteur, on a un peu l'impression d'aller visiter chacune des maisons d'un village. Chaque rencontre est l'occasion d'une bonne histoire, de quelques bons mots. Remarquable.
La nouvelle la plus instructive nous fera découvrir le naufrage du Cantabria en 1937, un bateau chargé de réfugiés fuyant la guerre d'Espagne.
Les nouvelles les plus étonnantes évoqueront une tradition locale du pays des baïnes :
[...] « Ah ! Le premier noyé de la saison ! » Cette phrase, depuis tout petit, je l’ai entendue, comme il convient, une fois par an. Au moins. Parfois, on oublie qu’il y en a déjà eu un avant. C’est ce qui arrive quand le premier noyé de la saison est vraiment précoce.
[...] Le premier noyé de la saison, c’est un peu comme l’ouverture de la cabane à chichis, la première grosse pousse de cèpes ou la première gelée, ça annonce une nouvelle période, un changement de lumière le matin quand on se lève. Ça rythme l’année. Et puis ça nous rappelle que nous, pendant ce temps-là, on est vivants.