A ses risques chez les Pictes
En 1906, Rudyard Kipling est au sommet de sa gloire ou presque, manquerai plus qu’un prix Nobel, ce sera pour l’an prochain, en attendant, le pater familias se repose dans son nouveau chez lui, dans le Sussex, adieu l’Inde éternelle et l’aventure merveilleuse, les joies et la normalité de la campagne anglaise… à moins que…
Dan et Una sont les deux enfants plus vrais que nature du narrateur, Puck, petit faune sorti tout droit d’un songe d’une nuit d’été prends l’habitude de les visiter certains après-midi trop chaud, après les leçons de latin ou autres désagréments des enfances martyres, il redonne à la colline environnante son aspect d’antan et laisse témoigner quelques visiteurs des temps anciens, le forgeron des dieux Vikings, un jeune compagnon de Guillaume à Hastings, un centurion romain envoyé au sacrifice à la garde du mur d’Hadrien contre les invasions Normandes, un architecte du seizième siècle et quelques autres…
Les histoires se suivent avec le génie narratif habituel de l'auteur, certaines histoires s’étalent sur deux ou trois nouvelles et le lecteur avide en réclamerait facilement dix ou douze romans à la place mais ce n’est point ici le ton délicieux et paresseux du dilettante qui se repose sous le Chêne, le Frêne et l’Epine… Plus tard, n’en doutons pas, les auteurs viendront puiser leur inspiration à la source inépuisable, Tolkien y remplira délicatement quelques seaux et si je voulais appâter la nouvelle génération, nul doute que certaine comparaison évidente entre le mur aux Pictes et celui d’une très célèbre épopée romancée et télévisuelle issue de la Guerre des Deux-Roses pourrait en intriguer deux ou trois, mais leur déception serait par trop cruelle.
Entre chaque nouvelle, une chanson, un poème, les deux parfois, rajoutés pour certains quelques années plus tard, l’unité de l’ouvrage y gagne une douceur rare tout en suivant la liberté chronologique propre aux enfants qui s’inventent des histoires dans les fourrés giboyeux. Après la cueillette du houblon on file au séchoir cuire des pommes de terres et oublier les études du matin, une histoire de pirate ou de contrebandier viendra toujours à point pour distraire le jeune cancre et le replonger malgré lui dans la plus jolie façon possible d’apprendre l’Histoire et les dictons édifiants…
"Les houblons, le dindon, l’hérésie et la bière
Sont tous venus la même année en Angleterre."
Alors, comme toujours, c’est un crève-cœur de refermer l’ouvrage, surtout que c’est le dernier que j’avais gardé en ma possession intact, repoussé inconsciemment jusqu’ici par l’invraisemblable laideur de la couverture massacrant sans vergogne une illustration d’origine par H. R. Millar, et que je suis maintenant orphelin sans consolation possible…
A moins que… Quatre années après ce volume féérique, un deuxième tome sortira sur la même idée, c’est d‘ailleurs dans ce dernier que se trouve le poème préféré de nos amis britons, le fameux « If… », tu seras un homme mon fils, et ces sortes de choses…
Mais ceci est une autre histoire.