Pukhtu primo
7.3
Pukhtu primo

livre de DOA ()

Plongée glaçante dans l’enfer afghano-pakistanais, Pukhtu Primo est le premier volet du diptyque que Doa consacre au conflit qui embrase le Moyen-Orient depuis bientôt quarante ans et qui connut son apogée avec l’intervention des forces américaines (à partir de 2001). Un roman qui mêle habilement considérations géopolitiques, espionnage et thriller, mais qu’il convient cependant de mettre en perspective avec d’autres oeuvres pour avoir une vision d’ensemble. Je vous renvoie donc vers la lecture de Mille soleils splendides de Khaled Hosseini, qui propose un regard féminin sur le conflit et un point de vue très intéressant sur la montée en puissance des Talibans, ou bien encore le visionnage de Zero dark thirty, film sobre et maîtrisé racontant la traque de Ben Laden par les services de renseignement américains.


Roman choral extrêmement dense, Pukhtu se déroule pour l’essentiel entre l'Afghanistan et le Pakistan, s’autorisant à peine quelques détours du côté de la France et de l’Afrique. On y suit les parcours croisés de Fox et de sa bande de mercenaires employés par Longhouse, une société privée auprès de laquelle la CIA sous-traite certaines opérations commando et des missions de renseignement. Second personnage central, Peter Dang, reporter de guerre américain qui tente de percer à jour les activités menées par certains membres peu recommandables de Longhouse, essayant vainement de mettre en lumière la vilaine petite arrière-cuisine d’une CIA peu regardante sur le plan éthique. Enfin, le roman s’attarde longuement sur la vendetta que mène un chef de clan pachtoune, Sher Ali Khan, à l’encontre de ceux qui sont responsables de la mort de son fils aîné et de sa fille la plus chère, au cours d’une opération des forces américaines destinée à éliminer un chef taliban. Complexe par le foisonnement de ses personnages secondaires, aussi bien que par sa dimension géopolitique, Pukhtu est aussi une plongée au coeur de la culture afghano-pakistanaise, de son étonnant système tribal étranger à toute idée de frontière et fonctionnant selon ses propres règles. Certes, ces éléments culturels et politiques sont connus, mais la forme romanesque leur rend davantage de substance qu’une simple description clinique et purement documentaire. La tension entre les multiples clans et les différentes ethnies de la région, la codification extrême des relations sociales, la place centrale de la religion dans la vie de ces populations…. tous ces éléments acquièrent un certain relief, une densité qui, au-delà de la fiction, devient incroyablement authentique. Authenticité renforcée par l’insertion de coupures de presse, rapports et autres comptes-rendus officiels tout au long texte.


Par son aspect composite, mêlant habilement fiction et documentaire, Pukhtu nous plonge au coeur de l’action avec un grand souci de réalisme et une approche sans concession du terrain. C’est sale, brutal, laid…. comme la guerre, surtout lorsqu’elle devient un business. Mais le plus douloureux réside dans l’incapacité de ce pays mille fois brisé à sortir de cette dynamique mortifère. Perspectives économiques limitées, corruption, islamisme endémique, trafics en tous genres (la culture du pavot en fait l’une des plaques tournantes du trafic d’héroïne), contrebande… c’est comme si l’Afghanistan réunissait tous les maux d’un monde en perdition. Dans un tel chaos, le fondamentalisme religieux fait office de boussole, les esprits les plus faibles s’y raccrochent pour ne pas sombrer définitivement et maintenir un semblant de repères et de cadre, alors que les plus cyniques n’y voient qu’un moyen d’accroître leur pouvoir et leur emprise. Triste époque, triste monde où même ceux que l’on envoie sauver les innocents en profitent pour s’enrichir sur leur dos, avec un cynisme sans commune mesure.


Un grand roman donc, qui n’évite pas quelques longueurs et quelques écueils mineurs (l’arc narratif des personnages français est pour le moment peu convaincant, à voir avec la suite), mais qui réussit à convaincre par sa maîtrise formelle et la profondeur de son propos.

EmmanuelLorenzi
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le 20 nov. 2018

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