Convaincu par le premier essai de P. Weil relatif à l'histoire des politiques d'immigration en France c'est avec moins d'appréhension que je me suis attaqué aux quelques quatre cents pages de cet opus dédié à l'histoire de la nationalité française, dont les traits essentiels sont aujourd'hui résumés dans un bref chapitre de son livre "La France et ses étrangers" .
Là encore, j'ai été plutôt convaincu. P. Weil a plutôt un bon talent de conteur et nous explique comment le droit de la nationalité a évolué de 1789 à nos jours pour devenir ce qu'il est aujourd'hui.
Commençant avec un rapide résumé du droit d'aubaine sous l'ancien régime et du droit du sol mis en place à cet époque dans une logique de sujétion au roi, puis de ses évolutions sous la Révolution francaise, (j'ai découvert au passage que la Constitution de 1793 avait été appliquée et seulement suspendue sur ses dispositions d'organisation des pouvoirs institutionnels), P. Weil nous explique comment Bonaparte s'est fait imposer le jus sanguini (droit du sang) par les rédacteurs du code civil, Tronchet en tête à partir de 1803. Je ne peux que conseiller la lecture de ce passage riche en anecdotes.
La deuxième étape est le renversement de ces dispositions en 1889 par le retour du droit du sol, motivé par des considérations de mobilisation (les étrangers étaient exemptés de service national) et de préoccupations de ne pas favoriser l'existence de populations allogènes trop nombreuses sur le territoire: paradoxalement c'est aux étrangers en France qui beneficiaient déjà des acquis du code civil que le droit du sol a été d'abord imposé parce qu'ils n'avaient pas d'eux mêmes d'intérêts à se faire Français.
La troisième période est celle des grandes lois visant à faciliter les naturalisations, au sortir de la Première guerre mondiale, jusqu'alors soumises à des procédures tracassieres, notamment celle de 1927, afin de réarmer démographiquement la France, des inquiétudes, et de la montée des xénophobies associées à cette libéralisation qui commence par des refus d'exercice de profession aux naturalisés (lobby des avocats et médecins notamment) et trouve son point d'orgue sous Vichy avec pas moins de 15 000 de naturalisation-le bilan eu pu être pire mais par chance les racialistes et les restrictionnistes en matière de naturalisations se chamaillerent tant et si bien que le nouveau code de la nationalité ne vit pas le jour.
Enfin Weil brosse l'histoire de la nationalité depuis 1945, et la victoire des conceptions universalistes de la naturalisations de Teittgen contre les conceptions racialistes (culturelles) de Mauco pour la politique d'attribution de la nationalité française aux étrangers. Au passage Weil nous gratifie aussi d'un chapitre dédié aux conceptions de la nationalité en Algérie française notamment des citoyennetés de second rang et de leurs conséquences pour les indigènes sous statut musulman ou juif (le décret Cremieux ne concernait que les juifs dans les parties algériennes déjà française en 1870) qui illustre assez nettement les conséquences peu enviable des citoyennetés à plusieurs vitesses.
Bref. A l'heure où immigration et identité sont une composante du debat public, cet ouvrage, dense, s'avère un éclairage précieux sur ces sujets d'actualité.