Vertige : plonger dans la Chine impériale...
...s'enfoncer dans cette eau sombre ( sombre pour nous, qui n'y voyons guère ), descendre à 4000 ans de profondeur, à la recherche des chinoises remarquables, avec pour seul guide les éclats de lumière de ces perles.
Lumière d'étoiles disparues, dont parfois la mort exceptionnelle - supernovas - est la raison même pour laquelle leur mémoire a été gardée !
Françoise Lauwaert ne cherche pas à nous vendre un tableau édénique :
elle sait combien la tradition a enfermé les chinoises, les a contraintes à un comportement-carcan, cantonnées à des occupations codifiées, et plus que tout, leur a interdit d'exister en public, les a anonymisées.
Pourtant, dans la mer de cette longue nuit, cette même tradition a conservé la mémoire et le nom de centaines de femmes remarquables, et souvent JUSTEMENT parce qu'elles étaient sorties du lot en dérogeant à ces mêmes contraintes, que cette même tradition leur assignait, encore et encore, toujours plus lourdement, serrant toujours plus ( au propre comme au figuré ) les terribles et ordinaires bandes d'étoffes qui handicapaient les chinoises, les recroquevillaient, leurs coupaient la circulation, les mutilaient, dans leur corps comme dans leur esprit.
Pourquoi cette contradiction ?
Schizophrénie ?
...ou utilisation cynique du contre-exemple, de l'exception, pour renforcer la règle ?
Françoise Lauwaert n'imagine pas connaître toutes les réponses, elle n'éclaire que ce qu'elle peut. Tributaire des écrits existants, elle n'invente pas ce qui est perdu. Elle n'interprète que prudemment.
Mais elle va à la rencontre de ces femmes d'exception, si nombreuses - mais si rares dans l'immensité des millénaires chinois.
Elle ne nous dissimule pas que, pour chacune d'elle, des centaines de milliers d'autres sont restées prisonnières de ce qu'elle appelle "la maison de poupées"; dans la réalité concrète de leurs vies, de leurs gestes, mais aussi de leurs têtes : conditionnées - et oubliées à jamais.
Elle reste prudente vis-à-vis des concepts d'agency" et d'empowerment" qui servent parfois à repeindre le gris en rose.
Et on lui en sait gré.
...comme on sait gré à quelqu'un de ne pas nous raconter de jolies histoires infantilisantes, d'oser le vrai.
Envers chacune de ces femmes-signes, son empathie, évidente, sensible, ses étonnements.
Ses précautions. Ses scrupules. Comme on défait doucement des bandelettes.
Femmes réelles et femmes inventées par les légendes, femmes écrivaines et femmes écrites.
Femmes du pinceau et femmes du sabre.
Epouses, fiancées, veuves, courtisanes ou concubines.
Toujours, les chinois - les hommes qui, les citant, leur ont permis d'accéder à cette immortalité normalement réservée aux hommes - ont eu pour elles ce compliment ambigu :
"Presque des hommes".
"Egale à un homme"
"Plus homme que beaucoup d'hommes"
...allant jusqu'à les désigner par des mots masculins, comme si leurs qualités exceptionnelles les avaient sorties de leur condition de femmes;
...et, toujours, les parents, les proches, les amis, les admirateurs, à une jeune fille au talent trop évident, faisaient ce compliment terrible :
Dommage que tu ne sois pas née homme
Dommage que tu ne sois pas un garçon.
( plus de détails dans la colonne commentaires )