Pour son premier recueil de poèmes, le journaliste et romancier Bernard Delattre fait un pari ambitieux: rendre hommage aux grands chantres de la mer, de Hugo à Valéry ou passant par Brassens et Baudelaire. Pour ajouter à l'entreprise déjà prométhéenne, il se donne pour contrainte de mimer la forme faussement prosaïque, perlée de vroum vroum de la Prose du Transsibérien de Blaise Cendrars auquel ce recueil est d'emblée dédié.


Voyage exotique précis entre liste à la Prévert et Universel reportage à la Mallarmé en surface, le texte cache une plus grande profondeur: Delattre renoue avec le thème baroque et romantique de la vie comme un océan et sème çà et là quelques petits momento mori (on notera le discret "petit animal qui lui faisait souvent très mal" que vainc même partiellement le rire du clown).


Toutefois, le voyage de surface prend beaucoup de place, les approfondissements devenant quelques faibles pilotis sur l'ensemble de l'oeuvre, ce qui est dommage quand on voit le potentiel inexploité que cela suppose.
Ce qui gênera le plus les adeptes de poésie, c'est cette forme à la Cendrars qui ne l'égale jamais et la singe toujours, mêlant cacophoniquement parfois élégie et humour ("Etonné l'aigle impérial tel un King", premier d'un beau poème en épanadiplose qui ne semble pas savoir sur quel pied danser et qui fait rimer plus la langue de Shakespeare que la langue de Molière). Hommage aussi à Apollinaire avec son absence volontaire de ponctuation qui dans certains cas donne, dans certains poèmes, plus une impression de manque que de liberté interprétative.
Et l'unique volonté des trompettes classiques ... car, oui, beaucoup on attendu - en vain - des vers vrais et pensent être tombé sur des vers de mirlitons. Le compromis à faire serait le poème en prose, certes plus proche de Baudelaire ...


Un recueil riche, ambitieux, érudit et intelligent qui risque néanmoins de se heurter à l'écueil d'un forme poétique qui reste - même aujourd'hui ! - trop moderne.
Fervent lecteur vernien et baudelairien, avide des Natchez et du Mississipi de Chateaubriand, je suis sous le charme du voyage mais avoue ne m'être pas senti bercé par la cadence des vagues vers trop vagues à l'âme !
Mais une grande puissance poétique dans le jeu de la langue, notamment dans les titres.
Un recueil pour les naufragés de la vie à lire pour renouer avec l'optimisme:



Ma vie ici était en pantenne
Adieu les larmes et les peines
Demain sera forcément plus beau
Au gré de Dieu, du vent et des flots


Frenhofer
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le 7 avr. 2018

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