Surtout connu pour Le Pouvoir du chien (1967), l’Américain Thomas Savage s’intéresse ici à une région qu’il connaît bien. Rue du Pacifique (1988) retranscrit l’ambiance d’une époque à situer entre la conquête de l’ouest et le début du vingtième siècle.
Toute la trame du roman se situe à Grayling et alentours, dans le Montana (territoire réputé pour ses grands espaces, région très prisée des écrivains proches de la nature), à partir de 1890 environ. La conquête de l’ouest par les colons blancs est entérinée. De fait, les Indiens ont perdu cet épisode et ne vivent déjà plus que parqués dans des réserves, même si le fils du chef va à l’école et devient même ami avec Zack Metlen. À vrai dire, une partie de ces Indiens a préféré la fuite plus loin. Mais les années à venir réservent encore bien des surprises que ce roman met en évidence, notamment en confrontant deux familles aux ambitions diamétralement opposées, les Metlen qui vivent du produit de leur ferme et les Connor qui prospèrent comme banquiers.
Les individus confrontés à la marche de l’Histoire
Les Metlen et les Connor pourraient prospérer, chaque famille dans son activité, si l’imprévu ne s’en mêlait pas. Le roman montre ce que tout cela devient lorsque les uns et les autres sont amenés à improviser, réagir face aux événements. Bien évidemment, avec les années qui passent, tout évolue et certaines choses changent de manière radicale, les techniques peut-être même avant les hommes. Ainsi, Joe Metlen est confronté à une catastrophe qu’il ne maîtrise absolument pas et qui va bouleverser son existence ainsi que celle de sa famille, dont celle de Zack, son fils. En passant à la génération suivante, les données diffèrent grandement. La Première Guerre mondiale éclate et Zack va y participer. Voilà qui change fondamentalement un homme et le confronte à ce qu’il est réellement. Du coup, Zack se trouve embarqué dans ce qui le passionne et qui va révolutionner une certaine vision du monde.
Un roman qui aurait pu tourner à la saga familiale
Avec ce roman, Thomas Savage s’attaque à une période charnière de la vie aux États-Unis, ce qu’il fait en mêlant l’Histoire telle qu’on la connaît (pas forcément dans ses détails) avec celle de personnages qu’il décrit comme s’il les connaissait bien. Il est probable qu’ici l’auteur s’inspire non seulement de lieux qu’il connaît mais aussi de personnes réelles, ce qui donne beaucoup de vie à son roman. Il accentue cela par un procédé dont il use régulièrement ici, en s’adressant directement à ses lecteurs (lectrices), par des phrases du type « Vous savez bien comment c’est… » qui cherche à les impliquer et qui fonctionne probablement mieux sur un lectorat américain que français. Cependant, malgré une lecture agréable, Rue du Pacifique donne l’impression de manquer un peu d’ampleur au vu du nombre des thèmes qu’il aborde : la confrontation des générations, l’affirmation de soi, le devenir des Indiens dans une Amérique aux mains des blancs, l’impact de l’évolution technique, etc. le tout en faisant évoluer des personnages de trois générations successives. De ce fait, le roman donne l’impression d’une succession de tableaux vivants (à l’image de ce qu’il évoque dans un chapitre), souvent hauts en couleurs, mais dont le lien manque un peu de solidité par moments. Ce que Zack a vécu à la guerre reste bien flou par exemple. L’erreur fondamentale de Joe pourrait aussi être mieux amenée, surtout d’un point de vue psychologique. Ainsi, son personnage est présenté comme assez monolithique, de même que son pendant du côté Connor, ce qui donne d’ailleurs du sel à bon nombre de situations. Quelques personnages féminins sont assez marquants également, l’épouse de Joe ainsi que celle de Zack. Mais, celle qui permettra au destin de la famille de Zack de ne pas s’effondrer n’est qu’une ombre surgie d’un épisode anodin du passé. Quant à la famille Connor, elle n’est que trop peu évoquée et elle n’est là que pour faire un pendant bien pratique aux Metlen. Ce qui n’empêche pas ce roman trop court à mon avis (290 pages) de comporter plusieurs moments forts qui justifient largement sa lecture.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné