"La société organisée doit servir et non pas asservir"

Un bref opuscule pas dénué d'intérêt et qui pointe du doigt les dérives autoritaires de nos gouvernants depuis deux décennies. Le texte est d'autant plus intéressant qu'il a été rédigé par un soutien d'Emmanuel Macron qui a pris ses distances avec l'actuel président de la République suite à un enchaînement de lois liberticides adoptées par la majorité LREM. François Sureau est ancien haut-fonctionnaire, avocat et écrivain, on ne peut pas dire qu'il manque de bagage intellectuel pour parler des libertés publiques et il le prouve à travers cette cinquantaine de pages qui se lisent aisément.


Ce qu'il constate, c'est que l’État de droit en France se fissure lentement et que le fragile équilibre institutionnel de la cinquième République est mis à mal par tout un ensemble de lois scélérates et de mauvaises pratiques. Cette tendance s'est accentuée face à la menace terroriste de ces dernières années. Alors que l'arsenal législatif déjà existant aurait suffit à assurer un niveau de sécurité acceptable pour l'ensemble des Français, les gouvernements successifs ont préféré enchaîner les lois liberticides, mettant à mal les droits à la défense, la présomption d'innocence ou instituant insidieusement le délit de pensée. Différentes formes de dérives qui se sont développées depuis l'élection d'Emmanuel Macron, notamment pour faire face à l'ampleur du mouvement contestataire des Gilets Jaunes. "Le citoyen n'est pas un être majeur et capable de discernement" nous explique l'auteur, aussi faut-il le cadrer, le censurer, lui dire ce qui est bon ou pas. Ainsi en va-t-il de la loi Avia qui instaure une forme de censure sur internet, des lois mémorielles qui créent des délits d'opinion historique ou encore de l'arsenal législatif autour du droit à manifester qui permet aux autorités de décider qui a le droit de descendre dans la rue ou non. "Il ne reste rien de la liberté de manifester si le gouvernement peut choisir ses opposants" : de fait.


Alors que l’État de droit avait précisément été créé pour garantir la liberté et les droits de chacun, cette perspective tend à s'inverser aujourd'hui. "Les libertés ne sont plus un droit mais une concession du pouvoir" qui s'avère de plus en plus récalcitrant à lâcher la bride. François Sureau s'interroge sur les raisons pour lesquels les Français semblent avoir délaissé le combat pour la liberté et s'abandonnent à une sorte de capitulation généralisée. "La liberté vaut (...) si elle est l'apanage d'un citoyen soucieux de bâtir une cité meilleure, et non pas seulement le privilège d'un individu soucieux de sa jouissance personnelle" nous dit-il. L'individualisme, du moins l'égocentrisme qui peut en découler, serait à l'origine de l'abandon de l'idée de vie commune et de combat pour une société politique plus juste : "Ainsi s'effondre sous nos yeux l'idéal collectif d'une société construite autour des libertés publiques. Les droits que nous réclamons sont des droits fragmentaires, des droits de créances, des droits communautaires, des droits de jouissance, des droits mémoriels. Ils ont en commun de nous placer en situation de demandeurs face à l'Etat. (...) Cette société du paternalisme étatique a pour conséquence que la liberté d'autrui ne nous concerne plus." L’État distribue ou retire des droits aux uns et aux autres, garantit les désirs de chacun. L'antagonisme fondateur entre l’État et les citoyens a été aujourd'hui remplacé par la "lutte de tous contre tous" sous le regard autoritaire de l’État.


Et pour recréer du débat politique et la quête d'un monde meilleur, il faut ouvrir une nouvelle voie à la "contradiction" et donc mettre un terme à cette tendance actuelle de "chasse aux opinions". L'auteur invite, un peu naïvement peut-être, à enseigner la philosophie plus tôt à l'école ou à éduquer la population aux réseaux sociaux (il semblerait pourtant que le problème ne soit pas la manière dont les gens utilisent les réseaux sociaux qui pose problème, mais bien le contenu de certains messages en contradiction avec les idéaux de tolérance, de respect et de modération). En somme, il faut éduquer les citoyens, mais les laisser agir et s'exprimer librement une fois qu'ils sont en âge de le faire. "Nous cherchons à recréer une forme de civilité par la répression" et clairement la méthode ne fonctionne pas.


Pour François Sureau la liberté ne saurait souffrir l'existence d'un tiers qui la contrôle ou la juge : de fait, la liberté implique la pleine reconnaissance de la capacité de l'individu à se régenter lui-même. D'autant plus qu'aucun acteur étatique, administratif ou même privé (pensons aux GAFA à qui l'ont demande de contrôler les contenus de certains messages) ne sont jamais neutres : les serviteurs de ces institutions ont également des opinions (qui peuvent changer) et des intérêts propres, et que rien ne les qualifie plus qu'un citoyen pour se prononcer sur des matières qui relève de la pure opinion politique". Aussi l’État doit-il être le gardien des libertés, mais certainement pas un tuteur, au risque de voir le citoyen redevenir un sujet qui abdiquerait de sa souveraineté intellectuelle.


Dans une vision très libérale, François Sureau nous invite en quelque sorte à entrer en tension avec l’État : il est le garant de la paix social et le gardien des libertés et des droits, mais aussi une entité qui a naturellement tendance à tendre vers le contrôle et l'autoritarisme. L'histoire du combat pour la liberté est semée de retours en arrière, de lois liberticides et d'états d'urgence qui se pérennisent. Si par le passé les autocrates assuraient ce rôle de manière très personnelle, aujourd'hui c'est le parlement qui trahit l'esprit de la constitution, suit aveuglément les directives de Matignon et de l’Élysée et participe à cette inflation législative sans objet. Les dernières législatures ont montré les limites de la cinquième République, d'autant plus affaiblie qu'elle a été discrètement dépecée de ce qui faisait sa force (la maîtrise de l'ordre du jour, le septennat, la fonction de Premier ministre) mais confirmé dans ses faiblesses (le monarchisme républicain, la soumission du citoyen, la "normativité imbécile des assemblées parlementaires"...).


L'idéal vers lequel tend François Sureau, c'est "l'avènement d'une société toujours plus juste, fût-ce au prix des désordres" causés par la mise en mouvement des facultés naturelles de l'homme : "penser, se déplacer, croire". Une société où la loi ne fait que limiter les désordres, mais ne tente pas d'établir un contrôle total sur la population, qui serait d'autant plus mortifère à une époque où la technologie rend possible les rêves de contrôle les plus fous des despotes (la Chine nous en offre un spectacle terrifiant). Ses dernières pages accentuent les défauts déjà présents dans le reste de l'ouvrage : des références culturelles pas toujours très heureuses et qui noient le propos, des tournures de phrase alambiquées, des affirmations parfois ambiguës... Finalement, une phrase a retenue mon attention dans cette fin un peu confuse et qui pourrait conclure efficacement et opuscule : "La société organisée doit servir et non pas asservir". Pour la forme, on s'étonnera juste que François Sureau, qui semble sincère dans sa défense de la liberté, n'ai pas pris plus clairement ses distances avec Emmanuel Macron. Ce dernier s'étant avéré un ennemi sournois mais avéré des libertés publiques dans notre pays, en accord avec la tendance généralisée de ces dernières décennies qui tend à sacrifier lentement mais sûrement les principes fondateurs de la démocratie au prétexte de garantir une prétendue sécurité.

ZachJones
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le 29 août 2020

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Zachary Jones

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