En 1858, à près de 39 ans, l’une des plus grandes romancières britanniques publie ses premiers récits sous le pseudonyme George Eliot. Pour les lecteurs victoriens, c’est une révélation. Si le succès est immédiat, c’est peut-être parce que les « Scènes de la vie du clergé » rompent avec la tradition littéraire de l’époque. Ces trois histoires n’ont rien de mélodramatique; elles racontent dans un langage simple des vies ordinaires et des dilemmes pleinement humains. Pour décrire ses villages fictifs de Shepperton et Milby, l’auteure se souvient de son enfance dans une petite communauté du Warwickshire, avec son église, ses notables et ses commérages. Chacun des trois récits gravite autour d’un pasteur, personnage qui incarne des valeurs spirituelles fortes, tout en représentant l’humanité moyenne.
Le révérend Amos Barton par exemple ne ressemble nullement à un héros. « Tandis qu’il prend son chapeau au crochet du corridor, vous voyez un visage qui n’a rien de particulier ; même la petite vérole qui l’a marqué semble avoir été d’une espèce composite et bénigne. » Bien qu’heureux en ménage, Amos Barton devient la cible de toutes les commères de Shepperton après l’installation d’une mystérieuse comtesse au presbytère.
Dans le deuxième récit, c’est le pasteur Gilfil - prédécesseur de Barton - qui a le premier rôle. Qui croirait que ce vieillard amateur de tabac et de gin a eu son roman d’amour ? Le narrateur nous transporte au XVIIIème siècle, époque où Gilfil était un fringant jeune homme épris d’une beauté italienne.
Enfin, dans « La repentance de Janet », il est question de querelles religieuses entre évangélistes et traditionalistes. L’arrivée du vicaire Tryan divise profondément la petite communauté, séparant les amis de jadis ; mais ces nouveaux enseignements trouvent un écho dans le cœur de Janet Dempster, une alcoolique martyrisée par son mari.
Bien qu’indépendants, tous ces récits se déroulent dans le même coin d’Angleterre, entre la fin du XVIIIème siècle et les années 1840; cela permet de retrouver au fil des pages des personnages secondaires et de créer une atmosphère sympathique mais confinée, propice aux rumeurs. Les hommes d'Eglise sont à l'époque au coeur de la vie sociale. Chacun des trois pasteurs représente à sa manière les humbles tragédies de l’existence. Sous des dehors médiocres, ils surmontent avec courage les épreuves du quotidien et acquièrent une certaine grandeur par la constance, l’amour ou la foi. La narration truffée de commentaires donne une saveur particulière au livre. On se croirait invité par la grande George Eliot à une causerie autour du feu, avec une tasse de thé en prime !