« Il y avait un truc qui s’était emballé en lui et qu’il ne contrôlait plus. C’était comme un cheval. C’était lui et ce n’était pas lui. Mais c’était plus fort que lui. Il se disait que peut-être ça avait été pareil pour elle, juste avant, et que ça avait tiré si fort que ça s’était rompu, et qu’elle était restée là, les yeux ouverts sur l’absurdité de la situation, à regarder leur histoire qui s’échappait au loin déjà. Bien sûr que la situation était absurde. Mais qu’est-ce qui ne l’était pas ? »
Herbert est écrivain, il tient un compte Facebook promotionnel. Il aime à y laisser des statuts cryptiques, poétiques, curieux, d’abord par goût bien sûr, ensuite pour attirer, fidéliser, animer ses lecteurs avérés ou potentiels. Le livre commence par celui-ci : « Il avait tellement d’imagination qu’il n’avait pas besoin de l’avoir pour avoir peur de la perdre. » Il est content de lui, sur ce statut, il lui semble – et c’est important pour lui, en général -, qu’on peut l’interpréter de différentes manières, et il espère que Coline, elle, comprendra qu’il s’adresse secrètement à elle. Coline habite à l’autre bout de la France, elle est prof, comme lui. Ils avaient un ami virtuel commun et Facebook leur a permis de se connaitre. C’est-à-dire qu’elle a commenté intelligemment un de ses statuts, il a répondu aimablement (« aimable, il l’est toujours, par principe; il n’a pas suffisamment de lecteurs pour se permettre de mettre dans le vent ceux qui lui écrivent aimablement, même si au fond il n’aime pas trop qu’on lui écrive. ») et une chose en entraînant une autre une relation, purement virtuelle, s’est nouée entre eux.
« Les sentiments, on peut les dire à la rigueur, mais on ne peut pas en parler. »
Ils passent pourtant des heures à tchatter, de tout et de rien aussi, mais d’eux, surtout, ce ce qui se passe entre eux. Il y a eu une progression dans leur manière de se découvrir l’un-l’autre, mais peu conventionnelle. Très vite (trop vite, sans doute), ils font cet amour qu’on dit virtuel et qui consiste à exciter l’autre par des photos, des vidéos, des mots surtout, écrits, et énoncés au téléphone.
Mais ils ne se se sont jamais rencontrés « en vrai ».
Tous deux mariés et parents, ils jouent. Ça ne compte pas, c’est pour du beurre…
C’est la première fois que je lis Philippe Annocque et je ne suis pas en mesure, à ce titre, de comparer ce texte à ce qu’il écrit habituellement. Je l’ai lu comme vrai à cent pour cent, il m’a semblé en tout cas à moi parfaitement sincère, et si c’est une pure fiction c’est d’une vraisemblance étonnante. On est très loin d’une romance à la Daniel Glattauer, qui relatait pourtant déjà ces emballements issus de la communication virtuelle. Aucune idéalisation, pas de romanesque, une pointe de sordide même parfois, le Léo de cette histoire-ci analyse énormément, subit en quelque sorte beaucoup plus les choses, mais est pourtant capable d’occulter totalement le reste de sa « vraie » vie pour se focaliser sur ce qui concerne Coline. Il est en cela bien aidé par son statut d’écrivain, ah si c’est pour un roman, n’est-ce-pas, c’est différent.
Alors, tchatter est-ce tromper ? Chacun se fera sa propre réponse, aidé par les nombreuses questions soulevées au fil des pages. Un roman intelligent et réaliste.