Je suis choqué ça va faire un an que j'ai lu ce livre alors que j'ai l'impression de l'avoir lu il y a trois mois, juste parce que ça va faire comme plus d'un an que je ressasse les problèmes qu'il pose.
Bon alors vite fait, je suis assez d'accord avec la thèse fondamentale du livre que je vais expliquer un peu après, mais d'abord deux choses qui expliquent ma consternation devant ce livre, qui n'est pas le premier à être aussi lunaire dans cette maison d'édition :
1. le livre ne dit fondamentalement rien de nouveau sur son sujet, puisqu'il arrive avec 40 ans de retard nous raconter ce que Foucault disait déjà à la fin de sa vie et dont il avait tiré les conclusion par rapport aux mouvements gays de son temps mais aussi de ses études du monde antique.
2. le comble de l'ironie c'est que l'ennemi intellectuel premier du livre est Foucault lui-même, qu'il caricature en ne se basant que sur le premier tome d'Histoire de la sexualité pour finalement s'accorder exactement à ce qu'il dit en faisant mine de l'avoir découvert en pensant contre lui.
En gros c'est quoi la critique que le livre fait à Foucault et faisant mine d'ignorer qu'il se l'était déjà faite à lui-même, ou plus exactement c'est quoi la critique que fait Foucault qui est ici critiquée, et dont il tirera les conséquences éthiques dans la suite de ses ouvrages ?
Le premier tome d'Histoire de la sexualité de Foucault est un livre polémique, très agréable à lire et assez peu académique, qui expose le programme que sera son Histoire de la sexualité dans les tomes suivants, disons que ça n'est pas un livre d'histoire à proprement parler mais un livre de philosophie qui vise à contrer l'argument phare des soixante-huitards qui avait cours à son époque (et qui perdure encore aujourd'hui) selon lequel mai 68 aurait été une libération sexuelle. L'hypothèse d'une libération sexuelle telle qu'elle s'exprime post-mai-soixante-huit se fonde sur plusieurs topiques, que l'on pourrait résumer rapidement ainsi : la morale bourgeoise chrétienne qui naît à l'époque victorienne a voulu cacher le sexe et l'a censuré, or la sexualité a joué un rôle fondamental dans la pseudo-révolution de mai 68 parce qu'elle s'est trouvée en excès, en infraction par rapport à cette loi morale. Bon... autant dire que de un, ce discours continue d'être largement promu par toutes les personnes qui nous parlent du fait qu'il n'y a plus de tabou sur le sexe, voire ont retourné le problème en disant que finalement on va apprendre la masturbation à l'école primaire tellement il n'y a plus de tabous. Les révolutionnaire d'hier sont-ils devenus les puritains d'aujourd'hui ? Et que de deux, ce que vise Foucault c'est pas tant le mouvement de mai 68 et ses apports sociaux, mais le discours qui consiste à considérer que le sexe aurait été réprimé, et ce de manière constante depuis la chrétienté jusqu'à mai 68. Derrière toutes la production de philosophie para-psychanalytiques qui ont vu dans le désir, l'érotisme et le sexe le moteur d'une révolution culturelle, c'est peut-être la figure de Bataille qui est ici le plus explicitement visé et son livre L'érotisme, qui considère que la sphère de l'érotisme est tout ce qui est en excès par rapport à la Loi (vision au demeurant assez proche de la figure du rebelle satanique des romantiques).
Donc contre cette vision du pouvoir et de la domination comme Loi, répression et censure, Foucault développe une autre théorie du pouvoir comme jeu stratégique inspiré de Machiavel. C'est d'ailleurs mon point de discorde fondamental avec cet ouvrage, car il manque de substituer à la notion de pouvoir celle de puissance, de possible et de capacité (ce qu'en un sens il rattrapera ensuite en développant l'idée d'une esthétique de l'existence). Ce que Foucault dénonce c'est qu'il y a une sorte de paradoxe à considérer que le sexe a été réprimé et censuré, alors qu'il fallait bien que pour sa répression on en parlât, c'est-à-dire qu'on fixe des interdits en le désignant, et que la honte avec laquelle on l'a entaché ne pouvait se faire qu'en libérant un certain type de discours à son sujet. Ce qui l'amène non seulement à considérer que l'histoire de la sexualité jusqu'ici a été mal faite, peut-être parce qu'elle ne se pose pas des problèmes spécifiques, mais vise à cautionner de manière trans-historique l'hypothèse répressive ; mais surtout, à considérer que le pouvoir n'est pas dans l'interdit de la Loi, mais dans l'organisation gouvernementale de la société par les discours qu'elle produit (ce que Foucault appelle par ailleurs le bio-pouvoir ou la question de la gestion de la vie). Autrement dit : il y a toujours eu des discours sur le sexe, celui-ci n'a jamais été un tabou, mais ces discours ont produit et non pas réprimé certaines pratiques sexuelles spécifiques et certaines théories sur la sexualité spécifiques. Bref la puissance subversive de ce premier tome reste à mes yeux inégalée sur le sujet car il renvoie dos-à-dos les puritains alarmés et les révolutionnaires en tocs satisfaits de leurs petits remaniements sociaux secondaires.
Bon après cette longue intro, parlons du livre de Richard Memeteau pour de bon : celui-ci considère que La volonté de savoir est le magnum opus de la théorie de Foucault sur la sexualité : la sexualité n'a pas été réprimée, elle a été produite, et nous avons joué ce jeu en tenant un certain nombre de discours sur notre sexualité par le biais par exemple du dispositif discursif de l'aveu (derrière ça c'est une critique directe du freudisme de la part de Foucault où la libido et sa répression par le surmoi peut expliquer tous les aspects de la psyché et de la culture). Or le projet théorique de Foucault a été moult fois remanié, et les suites n'ont rien à voir avec ce qui était annoncé dans la premier tome. Mais ce qui est étonnant c'est que Memeteau ne vient pas réargumenter en faveur de l'hypothèse de la libération sexuelle. Non ! son projet est d'édifier un nouveau type de relation qui ne soit pas pris en charge par le couple et pas forcément non plus celui du coup d'un soir. Disons qu'il cherche quelque chose qui ne soit pas un contrat mais qui en même temps puisse proposer une relation durable quoi que pas nécessairement exclusive. Il trouve sa réalisation dans le modèle du sexfriend qui est à prendre au pied de la lettre comme l'ami avec le/laquelle on fait l'amour et considère que parce que Foucault ne s'est concentré qu'en une théorie du pouvoir dans son premier tome, il n'aurait pas vu les possibilités d'invention de nouveaux types de relations qui ont émergé dans les cultures homosexuelles, dont le sexfriend est l'héritier.
Et voilà qui est un peu fort de café, pour une simple et bonne raison - et de deux choses l'une - que soit Memeteau est de mauvaise foi, soit il ignore les travaux de Foucault sur la sexualité (au-delà de La Volonté de savoir), car ce dernier a été le porte-parole de l'idée selon laquelle il fallait inventer non pas simplement de nouveaux ars erotica (par le BDSM, la culture gay, etc.) mais de nouvelles formes de vies et de nouveaux types de relations (ça va très loin puisque Foucault veut brouiller les catégories juridiques de relations sociales, en instituant non plus des sujets de droits mais des sujets éthiques, en adoptant son compagnon par exemple). Bref, qui d'autre que Foucault en France a si ardemment soutenu l'idée selon laquelle l'homosexualité n'était pas un rapport sexuel entre personnes du même sexe mais une certaine manière de concevoir les relations amicales entre personnes du même sexe ? Qui a à ce point décentré l'homosexualité de la question des rapports sexuels ? Autrement dit, qui à déplacer la sphère de l'eros vers celle de la philia, et fait de l'amitié la véritable relation à instituer - ou pour le dire plus simplement : qui a fait du sexfriend l'horizon indépassable de nos relations amoureuses ? Richard tu ne peux plus te cacher, tout le monde le sait, tu dis la même chose que ceux aux-quels tu prétends t'opposer. Malhonnêteté ou indigence intellectuelle, je ne sais et je n'en ai cure, car au fond comme toi, je suis d'accord avec Foucault.