J'ai découvert Mark Lanegan grâce à sa reprise de "Man in a long black coat" sur la fausse bande-originale du faux biopic consacré par Todd Haynes à Dylan, l'excellent "I'm not there". Une voix rauque et qui vous enlace pourtant, une voix qui semblait avoir déjà eu une familiarité certaine avec les ténèbres. Depuis, j'ai approfondi le sujet, jusqu'à cette autobiographie copieuse (plus de 450 pages).
Né à Ellensburg, un rude patelin de l'état de Washington, d'une mère dépourvue de tendresse et d'un père dépourvu d'autorité, alcoolique et dépressif, le petit Mark ne tarde pas à déconner: dès le collège, il fume, boit et vole. Et, quand quelqu'un l'agace trop, il n'hésite pas très longtemps avant de lui mettre son poing dans la figure. Les flics le repèrent vite, il risque la prison et la musique sera pour lui, en plus d'une passion, un moyen de s'échapper d'Ellensburg grâce à son premier groupe, Screaming Trees (groupe de la vague grunge, appellation que Lanegan vomit évidemment).
Suivant le plan classique de ce genre de récit – ascension, chute vertigineuse, renaissance -, Lanegan traite surtout de la 2ème étape. Il décrit les coulisses des tournées sans glamour: l'alcool jusqu'à l'abrutissement, filles tringlées sans parfois connaître leur prénom, conflits entre musiciens, etc. Mais c'est à l'héroïne et au crack que le chanteur va devoir une déchéance morale et physique épouvantable: il deale pour payer sa conso, occupe son temps libre en tournée à chercher de la came, zone pour cela les quartiers les plus sinistres et les plus dangereux, ne rechigne pas aux coups bas, va de galère en crise de manque, se rend insupportable à son entourage, finit SDF, etc. Lanegan ne s'épargne pas, se décrivant comme un être pour qui l'horizon se limite à trouver sa prochaine dose, peu fiable, malhonnête, parfois violent, ingérable, d'un égoïsme profond. Aussi captivant que soit ce livre, j'ai dû faire des pauses dans ma lecture, tant certains passages sont glauques et déprimants !
C'est tout juste si l'humour grinçant de Lanegan tempère parfois ce qu'il décrit. Plus d'un personnage de cette sombre histoire a droit à un portrait au vitriol, et notamment sa mère, présentée de façon effroyable: "La seule chose qui ait jamais semblé apporter du plaisir à ma mère, c'était de me rudoyer et de me ridiculiser [...]. L'une de ses rengaines favorites, tout en me giflant, était: "Tu n'es pas mon fils !" J'aurais tellement aimé que ce soit vrai". L'autre personne à laquelle l'auteur aura réservé ses piques les plus acides est Liam Gallagher, à l'occasion d'une tournée commune d'Oasis et des Screaming Trees, présenté comme une "grande gueule, ignare et détestable", "un cabotin immature qui jouait les terreurs alors qu'il chiait dans son froc"... qui ne s'éloigne jamais des deux gorilles qui lui servent de gardes du corps. Lanegan n'aura pas la satisfaction de lui en coller une, mais quand même celle de voir durant un concert Van Conner, le bassiste des Screaming Trees, lui mettre en pleine tronche un coup du manche de sa guitare, alors que Gallagher les narguait depuis le côté de la scène.
D'autres s'en sortent nettement mieux, comme Josh Homme, d'abord embauché comme second guitariste pour une tournée des "Trees", qui deviendra un ami fidèle et fera plus tard chanter Lanegan au sein de son propre groupe: Queens of the Stone Age. Lanegan a la joie de rencontrer Johnny Cash et Nick Cave, qu'il tient en haute estime. Et le ton devient poignant quand le chanteur évoque les défunts Jeffrey Lee Pierce (The Gun Club) et Kurdt Cobain (faut-il préciser ?), qui étaient non seulement des amis mais aussi des musiciens qu'il admirait. Saviez-vous que Lanegan avait publié dès 1990 une reprise de "Where did you sleep last night", accompagné par Cobain et Krist Novoselic ?
Lanegan se décidera enfin à faire une cure de désintoxication et s'en sortira, grâce à l'aide de Courtney Love, puis de Duff McKagan (Guns'n'Roses). Il choisit pourtant de clore son autobiographie sur une note franchement triste: en 2002, il apprend la mort de son vieux copain Layne Staley, chanteur d'Alice in Chains, qui, lui, n'avait pas réussi à échapper à l'emprise de la came.
Quoiqu'éprouvé, on aurait aimé connaître la suite de l'histoire de Mark Lanegan. Des clous ! Lanegan est mort de maladie début 2022, à 57 ans, dans le pays de ses ancêtres, l'Irlande, où il s'était installé. Fuck alors !