Skinheads
6.5
Skinheads

livre de John King ()

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Plus qu’un simple roman sur les skinheads anglais, c’est une réelle incursion dans leur monde que nous propose John King. L’occasion pour nombre d’entre nous sans doute (en tout cas pour l’auteur de ces lignes) de découvrir un univers et une culture plutôt mal connus. Nous avons en effet un certain nombre de clichés sur les « skins », les apparentant tantôt aux mouvements néo-nazis ou d’extrême droite, tantôt à des hooligans à la violence systématique ; nous découvrons sous la plume de King un monde beaucoup plus subtil et divers, et en son sein la spécificité des skinheads anglais.

Le livre suit les histoires de Terry, le personnage principal, de son neveu Ray, de son fils Laurel, dit « Lol », et d’autres personnes qui gravitent autour d’eux. Terry est skinheads depuis son adolescence, et cela fait partie de son identité, c’est un trait fort qu’il met un point d’honneur à revendiquer ; mais cette identité revêt aussi d’autres aspects : il est propriétaire d’une petite société de taxis, il entreprend d’ouvrir un bar, il est veuf, il est père, il est atteint d’une maladie. Chacun de ces éléments a son importance, et l’auteur les combien pour dépeindre un moment particulier de sa vie. Ray quant à lui est divorcé et peine à remettre de l’ordre dans sa vie et dans sa tête. Laurel enfin se fraye un chemin entre le monde de l’enfance qu’il vient de quitter, et le monde d’hommes dans lequel il évolue, maintenant que sa mère est décédée. A eux trois ils représentent trois générations d’anglais, trois générations de skinheads qui évoluent dans un univers social marqué par une forme de désolation, entre résignation face aux difficultés sociales de l’Angleterre du début du 21è, et tentation constante de la rebelion. Mais la désolation est aussi en partie psychologique : chacun est en proie à des difficultés personnelles qu’il parvient plus ou moins bien à canaliser.

S’il est écrit à la troisième personne, le livre nous donne cependant le point de vue des protagonistes : c’est en réalité comme si l’auteur nous plongeait dans leur tête, s’adaptant chaque fois à un nouveau langage et à de nouvelles expressions, pour mieux nous faire passer leurs ressentis. Quelque chose nous saisit tout de suite : il s’agit d’un monde d’hommes ; c’est un monde d’hommes au sens de la « nécessité » de mettre en avant la virilité (ils doivent montrer qu’ils dont des « durs », ils se battent, ils picolent, ils doivent faire face et ne pas avouer leurs faiblesses, ne pas faire part de leurs problèmes) ; et c’est aussi un monde d’hommes en cela qu’il est caractérisé par une certaine absence des femmes. Elles sont présentes dans le récit, interviennent dans certaines scènes, ont une forte prégnance lorsque nous sommes plongés dans les souvenirs ou les pensées des personnages. Mais elles ne sont que des personnages secondaires, comme une toile de fond. Il y a certes des femmes skinheads, cela est dit, montré, répété ; mais c’est l’histoire vécue par et à travers le prisme de plusieurs générations d’hommes qui est ici mise en scène. Les incursions intimes sont celles qui sont faites dans la tête des hommes : nous entrons donc dans le monde des skins à travers leur regard. John King les accompagne sans les juger, et sans non plus en faire les victimes d’un système social difficile qui légitimerait leur colère.

Chaque époque (le récit est fait de va-et-vient permanents entre souvenirs et moments présents) et chaque ambiance sont fixées par le recours aux chansons, aux odeurs, aux saveurs. Et on découvre alors, autour notamment de « l’aventure » dans laquelle se lance Terry en décidant de rouvrir un bar abandonné, le fort aspect culturel et identitaire qui mêle au fond des éléments très divers : la forte importance de la musique comme élément originel autour duquel se fédère le mouvement skins, le football comme élément de rassemblement mais aussi d’affrontement, la fierté identitaire mêlée d’accents nationalistes. Les personnages sont en effet fiers d’être anglais, forts attachés à leur drapeau l’Union Jack, et désireux de garder leur spécificité insulaire, éloignée du reste de l’Europe. Enfin, l’auteur nous rappelle les racines populaires du mouvement skins, qui nous permet d’éclairer différemment cet enracinement identitaires : « Marston était différent d’eux, il sortait des universités, avait sans doute dû suivre des cours consacrés à l’empire, à l’esclavagisme. L’Union Jack lui parlait différemment, pour lui il symbolisait l’impérialisme et la droite dure, alors que pour les mecs ici présents c’était beaucoup plus fondamental que ça, c’était une part de leur identité, ça n’avait pas la même signification. Tout dépendait simplement du point de vue, du regard que l’on portait sur les choses ».

Cet aspect identitaire est également marqué par l’idée latente au fil des pages de liens et de transmission entre les générations, mais aussi inquiétude des plus âgés qui perçoivent des formes de « dérives » des plus jeunes vers une violence plus systématique. Car, si les personnages sont comme « pris » dans un univers empreint de violence, ils aspirent en réalité au fond d’eux à une vie plus tranquille, une vie de mari et de père de famille, faite de musiques, de potes, de bons moments : « Terry mit une livre dans le juke-box et sélectionna les quelques titres convenables. Le plus jeune était assez bon au billard et le rattraperait sans problème. La voix de Desmond Dekker emplit soudain la salle, tout le monde se réveillant sur Israelites, qu’il mit à un volume correct, bien fort, bien sympa. Terry sourit et avala le tiers de sa pinte tandis que Hawkins revenait du bar, traversant le pub en articulant les paroles du refrain. Les gars se préparaient à un après-midi tranquille. Et c’était ça le plus important dans la vie ».

On regrettera peut être la longueur de certains passages et de certains chapitres, ainsi que la lourdeur du style par moment (si John King parvient à nous plonger totalement dans la tête de ses personnages en adoptant des formes de langage particulières et bien maniées, il tend cependant à en abuser, ce qui peut rendre la lecture un peu pénible par moments) ; Mais au final, le lecteur reste accroché par cette fresque d’une certaine facette de l’Angleterre, violente et attachante à la fois, qui, tout en demeurant dans le registre de la fiction, nous en apprend plus que bien des ouvrages savants.

Léa Breton
madamedub
8
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le 28 févr. 2013

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