La bière, la famille, le foot, le boulot, la musique, le drapeau, les fringues, le billard, la mémoire, l’amitié. Skinheads est davantage un roman fait de mots que de phrases, et le lecteur habitué à une littérature romanesque plus classique sera désarçonné durant les premiers chapitres, le temps de s’habituer au style particulier de l’auteur. Ce style, très déstructuré, où les tirets font souvent office de ponctuation par défaut et qui supprime parfois carrément la notion de phrase en étendant une séquence continue sur plusieurs pages, mime les formes de l’oralité. Roman d’imprégnation qui prend le temps, journée après journée, de nous décrire le quotidien de ses personnages, "Skinheads" n’est pas, à l’exception de quelques rares passages, un récit d’action ou d’aventure, il fait le choix de la description quasi naturaliste d’un milieu, d’un mode de vie, d’une classe d’individus.
Nous suivons en parallèle l’itinéraire de Terry, de Ray et de Laurel, un oncle, son neveu et son fils, tous trois liés à une compagnie privée de taxis low-cost et à un pub communautaire. Les skinheads dont il est question, qui ne renâclent pas à se battre de temps à autre sans pour autant atteindre à la folie des hooligans des romans précédents de l’auteur, qui tiennent fermement à leur identité sans pour autant sombrer dans le racisme, qui conspuent les conservateurs, les travaillistes, et – par dessus tout – l’Union européenne sans pour autant entrer réellement en dissidence, ne sont pas loin d’être des Anglais lambda. Peut-être juste un peu plus patriotes, plus passionnés, porteur d’une conscience de classe plus marquée. Des skins adultes, pères de famille, souvent mélancoliques, qui accomplissent consciencieusement leur travail mais n’hésitent pas à jouer des poings lorsqu’il s’agit de remettre à l’ordre un dealer ou un spéculateur véreux.
Chaque chapitre est truffé de références très spécifiques, notamment musicales ou vestimentaires, et King semble parfois plus s’adresser à ses amis du milieu, en multipliant les clins d’œil, qu’à un lecteur extérieur. Le roman se lit comme un film de Ken Loach, mélange de grisaille et de chaleur humaine, de déprime et de fierté, l’Union Jack en arrière-plan et les rythmes du ska et de la oï en fond sonore.