Troisième roman de la "Nuit Indochinoise" après "Tu récolteras la tempête" et "Rage blanche".
Ce roman est une suite de "Tu récolteras la tempête" puisqu'on y retrouve son personnage principal Georges Lastin quelques années plus tard. Entre temps, désavoué par la communauté coloniale du village de Takvane au Laos, Lastin a laissé son travail de médecin pour se refaire une vie dans le transport de marchandises en devenant chauffeur de camion. Il sillonne alors les routes devenues dangereuses du Vietnam et du Laos. Et le roman semblerait complètement indépendant s'il n'y avait l'interrogatoire de Lastin par le commandant vietminh du camp de prisonniers pour raccrocher le passé.
En termes de contexte, les années de juste après-guerre où les français ont reconquis l'Indochine sur l'occupant japonais, ont passé. Maintenant c'est au tour du Vietminh de vouloir chasser les français à leur tour et de monter en puissance. Au fur et à mesure de l'avancement des romans de la "Nuit Indochinoise", on sent l'insidieuse pression exercée par le Vietminh de plus en plus importante.
Deux grandes parties dans le roman. La première est de l'aventure pure puisque Lastin fait partie d'un convoi attaqué par le Vietminh et se retrouve prisonnier d'un camp dans lequel il ne doit sa survie qu'à ses talents de médecin (officiellement déchu) pour soigner les blessés vietminh. Il rencontre dans le camp un autre français, Ronsac, fonctionnaire marié à une jeune femme vietnamienne My-Diem, prisonnière elle aussi, dont la personnalité le fascine et l'intrigue.
La deuxième partie se passe à Saïgon, une fois les prisonniers libérés. Le couple Ronsac a été libéré sur versement d'une grosse rançon qui le met en sérieuse difficulté financière tandis que Lastin fut libéré à l'occasion d'une attaque du camp par les forces françaises.
Georges Lastin entame une relation amoureuse compliquée avec My-Diem qu'il retrouve ultérieurement. Cette deuxième partie est très différente et adresse directement à l'analyse de la cohabitation entre français et vietnamiens. À travers la relation triangulaire Lastin / Ronsac/ My-Diem, Hougron détaille en profondeur les rapports d'attirance et de répulsion entre dominants (français) et dominés (indochinois) d'une façon générale. Et, sous le regard lucide et dur d'un Lastin, Hougron n'épargne pas les faiblesses des colons, cachées sous une attitude de condescendance ou de mépris. Il me parait tout aussi lucide sur les différences et difficultés dues au poids des cultures et des traditions dans la relation jamais simple homme-femme en Asie.
On reste loin de l'image d'Epinal qui verrait les colons comme des maîtres purs et durs inaccessibles. La réalité est bien plus nuancée pour mille et une raisons. Les civilisations asiatiques et européennes semblent beaucoup perméables qu'on ne l'imagine.
En lisant les romans de Hougron, je pense souvent à ce petit ouvrage d'André Malraux, "la tentation de l'occident" dans lequel il décrit la fascination réciproque des cultures asiatiques et occidentales.
Comme toujours chez Hougron, j'aime me retrouver dans cette Indochine luxuriante, fascinante qu'il dépeint avec une grande force dont on sent que les cinq ou six années passées là-bas l'ont marqué durablement.