Voilà un livre très atypique.
A la manière de Toy Story, les livres de cette librairie de quartier prennent vie lorsque le rideau de fer les enferme pour la nuit. C'est tout un monde secret qui s'anime alors et les livres, gonflés des ardeurs de leurs auteurs, laissent libre cours à leurs sentiments parmi lesquels domine pour l'heure la peur. La peur du retour, la peur du pilon, la peur de la mort... Comment échapper à ce sort affreux et pourtant si commun réservé à tous ces livres qu'on ne lit pas ?
Avec beaucoup d'humour et une analyse aussi fine que juste de la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui le monde de l'édition, Bertrand Guillot brosse à la fois une petite histoire sympathique de lutte de survie pour ces livres délaissés des lecteurs et la photographie du lent processus de déclin qui semble avoir frappé la littérature et condamné le livre papier à sombrer dans les oubliettes.
J'ai davantage adhéré à cette seconde approche plutôt qu'à la première même si je reconnais que cette dernière est indispensable pour structurer le récit et nous évite ainsi, grâce à la plume pleine d'esprit de son auteur, un énième pensum sur l'avenir bouché de l'édition. Travaillant moi-même dans l'édition, je dois avouer que j'ai reconnu entre les lignes de "Sous les couvertures" mes propres questionnements et mes propres angoisses.
C'est un cercle vicieux qui semble ne pouvoir être rompu : on lit moins, on édite plus, on achète moins, on imprime plus, le libraire ne lit plus, il range des livres dans des cartons, le libraire brait, le lecteur se fait capricieux et avaricieux, le libraire voit le lecteur d'un mauvais œil, le lecteur demande toujours plus, le libraire trouve des animations, organise des rencontres, tente de conseiller, le lecteur volage l'écoute et va acheter son livre sur A***tchoum ! ou l'obtient par troc - ou pire, n'achète pas, se contentant de lire ce qui dort dans son grenier-, on achète moins, on lit moins, on édite plus...
Cette spirale infernale, moi, je veux croire qu'on peut encore l'enrayer mais il est vain de taper sur les auteurs de best-sellers, moi non plus je ne les aime pas mais ils réalisent encore ce prodige de faire lire les gens, tant pis si c'est du pipi de chat, les gens lisent et peut-être qu'un jour ils réaliseront que ce qu'ils lisent est du pipi de chat et qu'ils verront alors qu'il existe autre chose, des tas de choses, des tas de livres, des tas d'auteurs. Ce n'est pas complètement la faute des éditeurs non plus, ils essaient de vivre, ils essaient de faire leur métier - qu'ils aiment en général. Non, le seul élément qui permettra d'inverser la machine est... le lecteur lui-même, le lecteur en chair et en os, le lecteur qui ne peut certes pas toujours se procurer pour 20€ les 150 dernières pages dont les radios, les télés et les blogs lui rebattent les oreilles, mais qui doit prendre ses responsabilités et prendre le temps d'éprouver le plaisir d'entrer dans une librairie, de promener ses mains sur les rayonnages, de lire les avis du libraire, de retourner les 4ème de couvertures pour voir ce que tous ces romans ont dans le ventre.
Le libraire, épuisé, est prêt à céder, à lâcher l'affaire, les librairies ferment les unes après les autres, les petites, les grandes, les moyennes. Le libraire dépose les armes et aligne les meilleures ventes en vitrine quand il faudrait les placer au fond de la librairie pour obliger les lecteurs à traverser cet espace culturel bruissant du murmure des milliers de pages qui voudraient bien tenter de les séduire. Mais il paraît que le lecteur n'a plus ni le temps ni l'envie de faire des efforts depuis qu'il peut transporter une bibliothèque de mille titres dans sa poche et acheter en un clic le livre jusqu'ici introuvable. Le libraire baisse les bras et on le comprend car il aura beau s'échiner et faire tout son possible, offrir des bonbons, placer une mer de balles dans un coin pour amuser les enfants, poser nu dans un calendrier, etc. si le lecteur ne joue pas le jeu, l’inéluctable arrivera. Oh, ça ne veut pas dire que la littérature mourra, le jour où il n'y aura plus de libraires, ça ne veut pas dire non plus qu'on lira moins mais la littérature sera triste. C'est tellement dommage, c'est tellement joyeux la littérature !
J'ai lu "Sous les couvertures" avec le sourire pour le charme de son style, avec un serrement au cœur pour son réalisme et enfin avec un vif sentiment de culpabilité car, je le confesse, sur la centaine de livres que je lis chaque année, je dois bien en acheter... cinq.