« Frapper l’imagination des masses, sonder les possibilités humaines, instaurer une mythologie moderne à la rencontre de l’effort musculaire et du progrès technique. »

Dans l’histoire du sport, peu d’évènements ont su inscrire dans la durée un tel programme. Lorsque Antoine Blondin vient au Tour, lorsqu’il le reçoit en 1954 « comme une sorte de sacrement, un baptême ou une communion si l’on veut, avec le sentiment d’émarger à un grand système qui vous dépasse », il ne sait pas encore qu’il est appelé à en devenir l’un des plus grands hérauts. Romancier et journaliste sportif, Antoine Blondin fait partie de cette génération de jeunes écrivains, les « Hussards », qui s’opposeront avec style à l’hégémonie existentialiste qui phagocyte le monde intellectuel d’après-guerre. Ce petit essai, publié en 1977, revient sur le rapport de Blondin à cet « univers essentiellement mythique » du Tour de France.  S’il n’est pas né à temps pour voir les batailles rangées entre paysans et coureurs dans la campagne nîmoise en ce début de siècle (le Tour est lancé en 1903), Blondin a couvert plus de 533 étapes de la Grande Boucle. Témoin et acteur de ses grandes heures, spectateur de son désenchantement aussi alors qu’arrivent sur la table dès le début des années 60 les questions de dopage, de retransmission télévisuelle… Il restitue en pagaille aux lecteurs la geste du Tour de France. Car il existe une matière du Tour comme il en existe une de Bretagne. Sous sa plume, les Lauredi, Bobet, Christophe, Zaaf, Simpson et autres Hollenstein prennent une dimension arthurienne. « Univers essentiellement mythique, dont la légende sensible, entretenue par la chose vue, se survit par tradition orale, la geste du Tour de France a besoin d’être vécue par ceux dont la vocation est de la célébrer. » Où la chaleur, les badauds le long de la route et l’épreuve de haute-montagne caractérisent un objet à la croisée du drame, de l’odyssée et de la poésie : l’article de l’étape de la veille dans l’Équipe. Peintre habile et malicieux de ce ballet, qui s’ouvre avec la caravane et se clôt avec le passage de la voiture-balai, « camionnette sinistre (…) où deux personnes d’une jovialité extrêmement déplacée recueillent les coureurs désemparés qui renoncent à poursuivre la course. » Peut-être en fait-il trop. Il s’en défend : « On moque souvent les journalistes du Tour pour le ton qu’ils se croient tenus d’employer lorsqu’ils relatent leur petite affaire. Je défie quiconque a suivi cette épreuve d’échapper au style homérique quand il s’agit de faire revivre les voyages et les passes d’armes auxquels il s’est retrouvé mêlé. »  La vision est très personnelle. Datée, aussi. D’une époque où le coureur avait avec lui, coincé au niveau du sternum, le carton de l’itinéraire de l’étape, à défaut d’un manager lui horlant dans l’oreillette qu’il n’est plus que 121e sur 176. D’un temps où l’on brasait la fourche de sa bicyclette chez le maréchal-ferrant quinze kilomètres en aval du col où on l’avait brisé (Eugène Christophe en 1913 dans le Tourmalet). Difficile de ne pas refermer ce petit ouvrage songeur. La télévision, ça manque sacrément d’élégance. Tout a changé et en même temps, rien ne change.

Peut-être parce que cette Boucle a su trouver une formule aux accents d’éternité, finalement résumée par Antoine Blondin :  

« Il s’en dégage de cet enseignement que le cyclisme, qui associe des hommes à des paysages, des personnalités à des structures du sol et du climat, possède sa topographie légendaire. C’est assez dire qu’il est le foyer d’une civilisation transmissible, si l’on veut bien admettre que celui qui y accède en reçoit plus qu’il ne lui apporte. Les coureurs sont naturellement des héritiers. Les suiveurs également. »

Perlesvaus
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le 1 mai 2023

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