Dans ce livre, malheureusement pas traduit en français, Peter Heather propose une suite à sa chute de l'Empire romain. Le propos est plus original : comment les pouvoirs politiques du haut Moyen-Âge ont-ils été suffisamment imprégnés de l'idéal impérial pour tenter, chacun à sa façon, de restaurer la grandeur de Rome en Occident ?

Plusieurs études de cas se succèdent. On commence par rencontrer l'ostrogoth Théodoric qui, entre la fin du Ve et le début du VIe siècle, se taille dans l'Italie post-impériale un royaume à l'imitation du passé. Il parvient à affirmer son hégémonie sur l'Afrique vandale, le royaume des Burgondes et pousse même son influence jusqu'à la Gaule franque de Clovis : le cadre est bien impérial. À son apogée, Théodoric unit les deux royaumes goths, dominant à la fois l'Italie et l'Hispanie wisigothique. Faute d'héritier valables et sans le soutien de Constantinople, cette tentative sombre dans les dernières années de son règne et cette brusque résurrection fait long feu.
Au VIe siècle, c'est du très puissant encore Empire romain d'Orient, de Constantinople donc, que vient la nouvelle tentative. Confronté aux querelles de palais et au hooliganisme de course de char, Justinien tente de pallier sa légitimité vacillante par une guerre contre les Perses - l'ennemi par excellence de ces Romains en voie d'hellénisation - et une reconquête de l'Occident, menée tambour battant par ses généraux Bélisaire et Narses. Si les Lombards prendront vite possession de l'Italie du Nord et du Centre, le Sud et la Sicile resteront encore romains - comprendre byzantins - pour plus de trois siècles.
Une autre tentative vient d'Occident, quand Charlemagne, issu de la nouvelle dynastie franque des Carolingiens, est couronné empereur en 800 par le pape. Charlemagne est à la fois une personnalité dominante et un unique héritier survivant, il peut unifier en Occident un vaste empire qui distend le cadre de la vieille romanité (en Saxe, en Bavière...), auquel il impose le christianisme romain. Si son œuvre politique se perd avant la mort de son fils Louis le Pieux dans la guerre de succession, l'unification culturelle qu'il créé autour de l'Église permet la dernière résurrection de Rome, celle qui triomphera.
Tant que les papes sont issus de grandes familles romaines, l'évêché de Rome n'est qu'un moyen d'affirmer localement sa puissance. L'ambition change quand les empereurs du Saint-Empire imposent des papes barbares, à l'image de Bruno d'Eguisheim-Dabo (Léon IX) au XIe siècle. Ceux-ci, s'appuyant sur une prétendue donation de l'Occident aux papes par Constantin, ont comme projet réellement impérial de dominer les âmes de toute la chrétienté et de devenir le vrai chef spirituel de l'Occident. Or, la spiritualité au Moyen-Âge est complètement politique. Les heurs avec l'empereur sont violents, mais en 1215, le concile de Latran IV consacre leur triomphe.

Si certains passages peuvent faire lever le sourcil (l'empereur Zénon, un bon vendeur de voiture d'occasion, vraiment ?), c'est avec bienveillance que l'on peut les accueillir car Peter Heather ne nous mène pas en bateau. Son érudition est solide et ce livre propose une réflexion stimulante portée par la plume alerte d'un universitaire volontiers truculent. Le genre de professeur qu'on aime et dont on se souvient.
Flubuh
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le 24 juil. 2014

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